Le Moniteur – Panorama de droit de la construction – Cour de cassation – Second semestre 2013 — Karila

Le Moniteur – Panorama de droit de la construction – Cour de cassation – Second semestre 2013

Le partenariat entre Le Moniteur et Karila se poursuit. Dans la présente chronique parue 18 avril 2014, Laurent Karila dresse un panorama des arrêts marquants de la Cour de cassation du Secon semestre 2013. Le fichier pdf est disponible en cliquant sur le lien à droite de l’écranLe contenu de l’article est reproduit ci-dessous.
Dans ce même numéro du Moniteur, Karila a fait paraître un cahier pratique qui reprend l’ensemble des décisions de jurisprudence qui ont marqué la pratique du droit de la construction, des assurances et des marchés privés en 2013.   Ce premier panorama annuel a pour avantage notable de présenter l’ensemble desdites décisions classées en dix grandes parties (des marchés de travaux, aux assurances en passant par la réception, la notion d’ouvrage et la sous-traitance…), et 80 encadrés très lisibles, le tout précédé d’un sommaire complet et détaillé. Cette présentation compilée et structurée permet de mieux tirer profit des enseignements auxquels invitent les décisions de justice citées, en particulier sur le terrain opérationnel des chantiers.
COUR DE CASSATION  – SECOND SEMESTRE 2013 Marches privés : six mois de droit de la construction Les désordres acoustiques limités aux salles de bains revêtent-ils la gravité décennale ? L’absence de déclaration d’un chantier à l’assureur justifie-t-elle un refus de garantie ? Autant de questions auxquelles la Cour de cassation a répondu au second semestre 2013. Panorama des décisions pertinentes. Par Laurent Karila Avocat associé – Karila, Société d’avocats Chargé d’enseignement à l’Université de Paris I Sorbonne  

LA RECEPTION DE L’OUVRAGE

L’existence d’une retenue de garantie de 5% ou de réserves sur des désordres ne compromettant pas l’habitabilité de l’immeuble n’empêche pas la réception tacite de l’ouvrage, dès lors que le maître d’ouvrage en a pris possession et payé l’essentiel du prix (Cass. 3e civ., 8 octobre 2013, 12-25876)- la réception judiciaire peut être prononcée à la date du rapport d’expertise judiciaire dès lors qu’il révèle que l’immeuble était habitable au jour dudit rapport (Cass. 3e civ., 20 novembre 2013, 12-29981).

LES GARANTIES LEGALES

Imputabilité des dommages

La présomption de responsabilité de l’article 1792 du Code civil s’applique, certes, quelle que soit la cause du dommage (Cass. 3e civ., 5 novembre 2013, 12-28310). Mais elle ne pèse que sur les constructeurs à qui les dommages sont imputables. Les juges sont souvent amenés à se pencher sur cette question. Dès lors que les travaux ne portaient pas sur la poutre et les solives affectées de désordres antérieurs à son intervention et qu’ils n’en avaient pas aggravé l’état, la Cour conclut que les travaux neufs n’étaient pas à l’origine des désordres et met l’entreprise hors de cause (Cass. 3e civ., 17 décembre 2013, 12-29642). Autre exemple : l’entrepreneur ne peut pas être déclaré responsable de plein droit d’un désordre affectant la maison construite sur un terrain situé au bord d’un cours d’eau, dès lors, d’une part, que le glissement de terrain s’est produit sur le terrain situé en amont du cours d’eau, après de fortes précipitations, et donc que le dommage trouvait son origine dans un événement extérieur à l’ouvrage ; et que, d’autre part, aucun dommage à l’ouvrage n’était établi (Cass. 3e civ., 23 octobre 2013, 12-25326).  

Gravité décennale

Pour conclure à l’application de la garantie décennale, l’appréciation du degré de gravité du dommage est essentielle. Ainsi, lorsque les désordres acoustiques, limités, pour les plus notables, aux salles de bains, ne sont pas de nature à porter atteinte à l’indépendance des logements, et que les bruits d’impacts n’empêchent pas l’utilisation des appartements conformément à leur destination, la gravité décennale n’est pas atteinte (Cass. 3e civ., 22 octobre 2013, n° 12-25053). La Cour écarte également l’application de la décennale au motif qu’une différence de deux degrés dans une pièce ne rend pas un appartement dans son ensemble impropre à sa destination (Cass. 3e civ., 9 juillet 2013, n° 12-22529). Le risque d’effondrement du mur mitoyen ne peut s’analyser en un risque de perte de l’ouvrage relevant de la décennale, sans que soit précisé que cette perte interviendrait dans le délai décennal (Cass. 3e civ., 23 octobre 2013, 12-24201, Bull. à venir). Un décollement du carrelage survenu après à la réception peut en revanche compromettre la solidité de l’ouvrage, et l’affecter dans un de ses éléments constitutifs en le rendant impropre à sa destination (Cass. 3e civ., 9 octobre 2013, 12-13390).

Cause étrangère

Le glissement de terrain qui n’aurait pas pu être détecté par une étude de sol classique a constitué, par son ampleur, un événement présentant les caractères de la force majeure exonératoire de la responsabilité décennale (Cass. 3e civ., 20 novembre 2013, 12-27876).

Garantie de bon fonctionnement

Dès lors qu’il n’était pas démontré que le défaut de fonctionnement des éléments d’équipement dissociables (des nacelles pour le nettoyage des façades) rendait l’ouvrage impropre à sa destination, la garantie décennale n’était pas être engagée, seule la garantie biennale pouvant être mise en œuvre (Cass. 3e civ., 25 septembre 2013, n° 12-17267). Relèvent de la garantie de droit commun des constructeurs, les désordres (fissures du carrelage) qui ne compromettent pas la solidité de l’ouvrage ni ne le rendent impropre à sa destination et qui affectent un élément dissociable de l’immeuble, « non destiné à fonctionner » (Cass. 3e civ., 11 septembre 2013, n° 12-19483, 944, Bull. à venir).

RESPONSABILITE TOUS AZIMUTS

Avant réception

Le vendeur d’un ouvrage qu’il a construit ou fait construire est certes tenu à la garantie décennale, mais également de l’obligation -avant réception- de livrer un ouvrage exempt de vices sans qu’il soit utile de démontrer sa faute. Sauf clause contraire, les acquéreurs successifs d’un immeuble ont qualité à agir contre les constructeurs, même pour les dommages nés avant la vente, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun (Cass. 3e civ., 10 juillet 2013, n° 12-21910, Bull.)

Purge

Le désordre apparent à la réception qui n’a pas fait l’objet de réserve n’engage pas la responsabilité du constructeur (Cass. 3e civ., 10 juillet 2013, n° 12-19131). Le paiement des 5 % correspondant au solde du prix est susceptible d’emporter levée des réserves et donc purge de responsabilité des constructeurs (Cass. 3e civ., 5 novembre 2013, 12-27839).

Obligation de conseil

Avant d’engager les travaux, l’entrepreneur doit renseigner le maître d’ouvrage sur leur faisabilité et sur l’inutilité d’y procéder si les mesures, extérieures à son domaine de compétence, nécessaires et préalables à leur exécution, ne sont pas prises (Cass. 3e civ., 24 septembre 2013, n° 12-24642). L’entreprise est partiellement responsable pour manquement de son devoir de conseil, à l’égard du syndicat des copropriétaires, des conséquence de la chute d’une personne dès lors que la rampe réalisée, démunie d’un garde-corps préhensible, présentait un danger potentiel (Cass. 3e civ., 9 juillet 2013, n° 12-22222). En l’absence de maître d’œuvre et de plans d’implantation, l’entrepreneur a l’obligation de vérifier la conformité de la construction au permis de construire et à la réglementation de l’urbanisme (Cass. 3e civ., 6 novembre 2013, 12-18844, Bull.)  

Responsabilité du maître d’œuvre

Le maître d’œuvre doit conseiller au maître d’ouvrage de formuler une réserve sur le désordre en lui rappelant les conséquences de l’absence de réserve, la qualité de constructeur professionnel du maître d’ouvrage ne suffisant pas à démontrer une connaissance parfaite des conséquences attachées aux mentions du procès-verbal de réception (Cass. 3e civ., 18 décembre 2013, 12-27738). Les maîtres d’œuvre ont manqué à leur obligation de conseil au maître de l’ouvrage, en ne s’interrogeant pas sur la suppression, dans les marchés relatifs aux fondations, des injections préconisées dans le rapport du bureau d’études des sols (Cass. 3e civ., 18 décembre 2013, 11-27778). Voit sa responsabilité engagée le maître d’œuvre qui a concouru aux désordres en laissant intervenir l’entreprise de peinture dans un bâtiment n’assurant pas le clos ni le couvert, et en ne mettant pas en garde les maîtres d’ouvrage contre la poursuite de travaux sur des supports comportant des défauts de planéité importants (Cass. 3e civ., 20 novembre 2013, 12-21333). L’architecte chargé d’une mission de maîtrise d’œuvre complète qui demande à l’entrepreneur de procéder à la démolition et la construction alors que le permis de construire fait l’objet d’un arrêté interruptif de travaux peut voir sa responsabilité engagée par le maître d’ouvrage (Cass. 3e civ., 6 novembre 2013, 12-15763). En revanche, l’architecte qui a informé  le maître d’ouvrage d’un problème d’évacuation des eaux usées dans la cuisine et de la nécessité de reprendre l’étanchéité du réseau sous le dallage, et a attiré son attention sur le caractère provisoire du comblement réalisé et sur le risque d’un effondrement en l’absence de travaux définitifs, n’a pas manqué à son obligation de conseil et de surveillance (Cass. 3e civ., 6 novembre 2013, 12-25816). La saisine préalable, par le maître d’ouvrage, de l’ordre des architectes, prévue au contrat le liant à l’architecte, n’est pas une condition de recevabilité de l’action directe engagée contre l’assureur de celui-ci (Cass. 3e civ., 18 décembre 2013, n°12-18439, Bull)

Réparation

A quelques semaines d’intervalle, voici un arrêt qui énonce que l’auteur d’un dommage doit en réparer toutes les conséquences et que la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable (Cass. 3e civ., 10 juillet 2013, n° 12-13851) et un autre qui laisse entendre, a contrario, que le maître d’ouvrage pourrait voir sa responsabilité retenue pour n’avoir pas limité l’aggravation des dommages (Cass. 3e civ., 17 décembre 2013, 12-25476). A suivre ! Le principe du droit à la réparation intégrale selon lequel tous les travaux nécessaires à la réparation de l’ouvrage, y compris ceux utiles à la réalisation d’une partie d’ouvrage non incluse au devis initial, sont dus au maître d’ouvrage a été une nouvelle fois illustré (Cass. 3e civ., 20 novembre 2013, 12-29259, Bull.). Pour condamner TTC, le juge doit établir l’absence de récupération de la TVA par la SCI maître d’ouvrage (Cass. 3e civ., 22 octobre 2013, n° 12-14878) ; mais la cour d’appel qui prononce une condamnation globale HT ne peut faire le calcul du détail des intérêts sur des sommes TTC (Cass. 3e civ., 18 décembre 2013, 11-27778).

Suspension de la prescription

L’article 2239 nouveau du Code Civil qui prévoit la suspension des délais de prescription par une ordonnance de référé désignant un expert, n’est pas applicable aux ordonnances prononcées avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 (voir notamment Cass. 2e civ., 3 octobre 2013, n°12-22908).

Trouble anormal de voisinage (TAV)

Le certificat de conformité n’empêche pas le voisin de se plaindre du dépassement de la hauteur de la construction par rapport au permis de construire (Cass. 3e civ., 23 octobre 2013, 12-24919). Le TAV a pu être retenu à l’encontre du maître d’œuvre d’exécution dès lors qu’il connaissait le risque de dégradation de la ruelle par le passage de lourds camions et avait donné son accord pour une solution inefficace de mise en place d’un béton de propreté sur la chaussée (Cass. 3e civ., 9 juillet 2013, n° 12-21582).

Opposabilité du rapport d’expertise

Le juge, appréciant souverainement la force probante des éléments qui lui sont soumis, n’est pas tenu de faire référence au rapport d’expertise versé aux débats, et peut retenir que le préjudice d’exploitation pourtant visé dans le rapport n’était pas justifié (Cass. 3e civ., 17 décembre 2013, 12-25476) La caducité d’une désignation d’expert, qui n’atteint que la mesure d’expertise ordonnée, ne peut priver l’assignation introductive d’instance de son effet interruptif du délai de prescription (Cass. 3e civ., 26 septembre 2013, n° 12-25433, Bull.).

LES ASSURANCES

Avant réception

L’entreprise qui a souscrit une police garantissant sa responsabilité civile pour des dommages causés à autrui résultant de l’exécution des travaux, objet de son activité professionnelle, sa garantie d’assurance est limitée aux mesures nécessaires pour remédier à l’empiétement de la construction implantée partiellement sur la parcelle voisine mais ne comprend pas les travaux de reconstruction de l’ouvrage (Cass. 3e civ., 3 décembre 2013, 12-27947)

Assurance RC décennale

Les préjudices annexes, en relation avec l’inachèvement des travaux dans le délai convenu, n’étant pas la conséquence directe et exclusive des désordres de nature décennale, ces frais ne doivent pas être pris en charge par l’assureur en RC décennale (Cass. 3e civ., 3 décembre 2013, 13-14651).

Activités déclarées

Dès lors que ne figuraient pas parmi les activités déclarées au contrat d’assurance, l’activité litigieuse de fumisterie, il n’y avait pas lieu à application dudit contrat, peu important que la nomenclature du BTP édictée en 2007 – postérieure au contrat d’assurance- invitât à prendre en compte les activités accessoires aux travaux de bâtiment dont la fumisterie (Cass. 3e civ., 23 octobre 2013, 12-22968).

Assiette de l’indemnité

Les franchises de la couverture des dommages immatériels sont opposables aux tiers (Cass. 3e civ., 22 octobre 2013,n° 12-20707). L’absence de déclaration d’un chantier à l’assureur est sanctionnée par la réduction proportionnelle de l’indemnité mais ne saurait justifier un refus de garantie (Cass. 3e civ., 8 octobre 2013, 12-25370).

Assurance Dommages ouvrage (DO)

Une police DO ne peut exclure de la garantie, les éléments d’équipement pouvant, en cas de désordres les affectant, entraîner la responsabilité décennale des constructeurs (Cass. 3e civ., 18 décembre 2013, 13-11441, Bull.). L’assiette de cotisation prévue au contrat DO correspondant au coût total définitif de l’opération HT, honoraires des maîtres d’œuvre compris, à l’exclusion du mobilier et des équipements spéciaux, les prestations préparatoires à la construction ou de soutien, sans lesquelles l’ouvrage n’aurait pas pu être réalisé, ne peuvent être exclues de ladite assiette (Cass. 3e civ., 19 novembre 2013, 12-28102).

Prescription biennale

L’obligation d’information qui pèse sur l’assureur en vertu de l’article L 114-1 du code des assurances s’étend aux causes ordinaires d’interruption de la prescription visées dans le Code civil et ne se limite pas aux causes d’interruption extraordinaires mentionnées à l’article L 114-2 du Code des assurances (Cass. 2e civ., 21 novembre 2013, 12-27124 ; Cass. 3e civ., 25 septembre 2013, n° 12-10151). Une convocation à une expertise amiable n’interrompt pas la prescription (Cass. 3e civ., 24 septembre 2013, n° 12-18268). L’action en répétition de l’indu se prescrivant selon le délai de droit commun applicable, à défaut de disposition spéciale, aux quasi-contrats, la prescription biennale de l’article L. 114-1 du code des assurances n’est pas applicable (Cass. 2e civ., 4 juillet 2013, n° 12-17427, Bull.)

MARCHES DE TRAVAUX

Solde

Le maître d’ouvrage ne saurait être condamné au paiement du solde du prix  au motif que le procès-verbal de réception a été signé le délégataire du maître d’ouvrage, sans qu’il soit établi que celui-ci avait reçu mandat de procéder à la réception (Cass. 3e civ., 24 septembre 2013, n° 12-25680).

Caution et garantie

Lorsque le maître d’ouvrage n’a pas respecté les dispositions d’ordre public de la loi n° 71-584 du 16 juillet 1971 qui imposent le cautionnement ou la consignation de toute retenue de garantie, l’entreprise, nonobstant l’absence de levée des réserves, a droit au paiement de la somme retenue (Cass. 3e civ., 18 décembre 2013, 12-29472, Bull.). S’agissant de la garantie de paiement de l’article 1799-1 du Code civil, l’engagement de l’organisme de caution est limité à la somme fixée dans le contrat le liant au maître d’ouvrage, même si ce montant est inférieur au coût total de l’ensemble des marchés signés (Cass. 3e civ., 20 novembre 2013, 13-10081, Bull.).

Clause pénale

Les pénalités de retard ne sont pas dues en cas de refus i  

LA SOUS TRAITANCE

Caution

Le contrat de sous-traitance prenant effet au jour de la caution fournie pour le montant du marché et prorogée jusqu’à la réception des travaux, la cour d’appel a pu retenir que cette caution ne s’appliquait pas à aux travaux supplémentaires commandés, les parties n’ayant pas convenu de son extension (Cass. 3e civ., 22 octobre 2013,n° 12-26250).

Obligation du maître d’ouvrage

Le maître de l’ouvrage est tenu de mettre en demeure de l’entrepreneur principal de s’acquitter de ses obligations instituées par l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 dès qu’il a connaissance de l’existence du sous-traitant, nonobstant son absence sur le chantier et l’achèvement de ses travaux ou la fin du chantier. L’action délictuelle du sous-traitant est donc recevable (Cass. 3e civ., 11 septembre 2013, n° 12-21077, Bull.).  

Document(s) associé(s) à cet article