Le Volet responsabilité de la TRC ne profitait qu’au maître d’ouvrage (Cass. 3e civ., 22 octobre 2014) — Karila

Le Volet responsabilité de la TRC ne profitait qu’au maître d’ouvrage (Cass. 3e civ., 22 octobre 2014)

Revue générale du droit des assurances, 01 mars 2014 n° 3, P. 182 – Tous droits réservés

ASSURANCE

 Obligation in solidum et office du juge

Obligation in solidum ; C. civ., art. 1213 ; Office du juge ; Contribution à la dette de coobligés (oui) ; Calcul de la part de responsabilité

ASSURANCE

par Jean-Pierre Karila

avocat à la cour, barreau de Paris

docteur en droit

professeur à l’ICH

chargé d’enseignement à l’Institut des Assurances de Paris

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Cass. 3e civ., 14 janv. 2014, no 12-16440

Le juge saisi d’un recours exercé par une partie condamnée in solidum à l’encontre d’un de ses coobligés, est tenu de statuer sur la contribution de chacun d’eux à la condamnation.

[…> Mais sur le moyen unique du pourvoi incident pris […] :

Vu l’article 1213 du Code civil et les principes régissant l’obligation in solidum ;

Attendu que pour rejeter le recours en garantie formé par la société Davancens-Ceglarski architecture contre la société Y, l’arrêt retient que les désordres affectant les trottoirs en béton désactivé résultent des fautes conjuguées commises par ces deux sociétés ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le juge saisi d’un recours exercé par une partie condamnée in solidum à l’encontre d’un de ses coobligés, est tenu de statuer sur la contribution de chacun d’eux à la condamnation, la cour d’appel a violé le texte et les principes susvisés ;

PAR CES MOTIFS […]

CASSE ET ANNULE […]

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in solidum », un arrêt de la cour de Pau qui, pour rejeter le recours d’une société d’architecture contre un entrepreneur (exerçant également sa profession sous forme de société), avait retenu que « […> il a été jugé que les désordres affectant les trottoirs en béton désactivé résultent des fautes conjuguées commises par ces deux sociétés ; en conséquence, cette demande sera rejetée ».

En d’autres termes, pour la cour de Pau, dès lors que les conditions d’une condamnation in solidum des constructeurs étaient réunies, cela impliquait nécessairement que le recours en garantie de l’un à l’égard de l’autre ne pouvait qu’être rejeté, sans examen des fautes engagées par l’un et l’autre, ôtant de facto et de jure toute pertinence aux demandes en garantie de l’un ou l’autre à l’égard de l’un ou l’autre.

Fondement de l’obligation in solid um

2. On rappellera que l’article 1213 du Code civil dispose que « l’obligation contractée solidairement envers le créancier se divise de plein droit entre les débiteurs, qui n’en sont tenus entre eux que chacun pour sa part et portion ».

Certes ce texte ne concerne stricto sensu que les obligations solidaires, mais l’on sait que la jurisprudence applique depuis des décennies aux obligations in solidum, l’esprit, voire directement les textes du Code civil relatifs aux obligations solidaires, raison pour laquelle la cassation a été prononcée pour violation de l’article 1213 du Code civil et des « principes régissant l’obligation in solidum ».

Si l’on se permet de paraphraser la formulation habituelle des juridictions administratives qui n’appliquent pas directement les dispositions du Code civil mais les principes « dont s’inspirent » les dispositions dont s’agit, il pourrait être dit en la circonstance que « les principes régissant l’obligation in solidum » sont justement ceux qui inspirent les articles 1213 et suivants du Code civil relativement aux modalités de la contribution à la dette des coobligés dans leurs propres rapports.

Dans les circonstances de l’espèce rapportée, la cour de Pau avait manifestement ignoré ces principes, de sorte que la cassation était inévitable.

Office du juge

3. La cassation était inévitable et encore plus justifiée au regard, en outre, de la méconnaissance de l’office du juge qui consiste à trancher le litige des parties, tel que défini par leurs prétentions respectives (CPC, art. 4), conformément aux règles de droit qui y sont applicables (CPC, art. 12), sans pour autant statuer infra ou ultra petita (CPC, art. 5).

Or, il incombe au juge, si les parties le lui demandent, de statuer sur les recours formés par un coobligé à l’encontre d’un ou plusieurs autres coobligés, conformément aux règles de droit applicables à un tel recours, règles de droit constituées, en la circonstance, par l’esprit qui anime l’article 1213 du Code civil ou encore qui régit l’obligation in solidum.

Au regard de l’office du juge, on rappellera à cet égard que le juge n’est pas tenu, en l’absence de demande en ce sens par les parties, de déterminer dans leurs rapports entre elles, le partage de responsabilité ou encore la contribution de chaque coobligé à la dette (Cass. 3civ., 15 avr. 1992, n° 89-21540).

En revanche, si la demande lui est faite ou si les parties ont conclu en garantie les unes à l’égard des autres, le juge a l’obligation de déterminer la part de chacun d’eux :

– cassation d’un arrêt de la cour de Paris, au visa de l’article 1147 du Code Civil et défaut de base légale au regard de ce texte au motif que tout en condamnant in solidum deux responsables à réparer les conséquences de leurs fautes communes, avait rejeté la demande de garantie dirigée par l’un contre l’autre, alors qu’il lui appartenait de déterminer, dans leurs rapports entre eux, la part de chacun des co-auteurs dans la réalisation du dommage (Cass. 3e civ., 13 juin 1990, n° 88-18095 et 88-19188 : Bull. civ. III n° 148) ;

– cassation d’un arrêt de la cour de Montpellier au visa de l’article 1213 du Code civil et défaut de base légale au regard de ce texte, pour avoir refusé de prononcer un partage de responsabilité en raison « de l’interdépendance de l’intervention de chacune des parties » (Cass. 3e civ., 26 janv. 1993, n° 91-15395) ;

– cassation d’un arrêt de la cour de Nîmes qui, pour débouter des constructeurs et leurs assureurs de leur recours contre un autre constructeur et l’assureur de celui-ci, avait retenu que le sinistre trouvait son origine dans un concours de fautes indissociables, imputables à ces parties « alors qu’il lui appartenait de déterminer, dans leurs rapports entre eux, la part de chacun des coobligés dans l’organisation du dommage » (Cass. 3civ., 8 juin 1994, n° 92-17377) ;

– cassation d’un arrêt de la cour d’Aix-en-Provence pour violation de l’article 1213 du Code civil et des principes régissant l’obligation in solidum et pour avoir rejeté les recours en garantie réciproques et refusé ainsi de déterminer, dans leurs rapports entre eux, la contribution de chacun des co-auteurs qu’elle avait condamnés in solidum, dans la réparation des dommages (Cass. 1e civ., 29 nov. 2005, n° 02-13550 : Bull. civ. I, n° 451).

C’est également pour violation de l’article 1213 du Code civil « ensemble les principes régissant l’obligation in solidum » que la Cour de cassation a, le 28 mai 2008 (Cass. 3e civ., 28 mai 2008, n° 06-20403 : Bull. civ. III, n° 98), cassé un autre arrêt de la cour d’Aix-en-Provence qui avait rejeté un recours en garantie d’une personne condamnée in solidum avec une autre, au motif que la condamnation avait été prononcée in solidum, alors que, comme le rappelle la haute juridiction judiciaire, elle était « tenue de statuer sur la contribution à la dette […] de chacun des coobligés, condamné in solidum ».

C’est encore au visa de l’article 1213 du Code civil « ensemble les principes régissant l’obligation in solidum » que la haute juridiction judiciaire cassera le 14 mai 2009 (Cass. 1re civ., n° 07-21885), un arrêt de la cour de Fort-de-France qui avait refusé de se prononcer sur le recours en garantie de co-responsables qu’elle avait condamnés in solidum « alors qu’ayant condamné in solidum les co-responsables du préjudice, que la faute des uns et des autres avait causé, elle se devait, étant saisie des recours en garantie réciproques, de déterminer, dans leurs rapports entre eux, la contribution de chacun des co-auteurs dans la réparation du dommage ».

Toutes les chambres de la haute juridiction judiciaire adoptent les mêmes positions, il en est ainsi pour la chambre commerciale qui a rendu un arrêt le 11 décembre 2012 dans le même sens (Cass. com., n° 11-25493 : Bull. civ. IV, n° 228), comme la chambre sociale le 24 avril 2013 (Cass. soc., 24 avr. 2013, n° 12-11793 et 12-11954 : Bull. civ. V, n° 119).

Obligation à la dette et contribution à la dette

4. En définitive, au travers de la violation de l’article 1213 du Code civil comme des principes régissant l’obligation in solidum, la haute juridiction judiciaire reproche, dans les décisions ci-dessus évoquées, aux juges du fond, d’avoir confondu les conséquences d’une condamnation in solidum (elle-même légitimée par l’existence de fautes communes ou d’obligations in solidum), avec la nécessaire conséquence des principes régissant la contribution à la dette des coobligés dans leurs rapports.

Si l’obligation in solidum conduit à une condamnation in solidum et par voie de conséquence, à ce que le créancier puisse requérir de n’importe quel condamné in solidum le paiement de la totalité de la dette, en revanche, les règles régissant la contribution à la dette de coobligés, conduisent à ce que dans leurs rapports entre eux, le partage de la dette soit fait en fonction de leur part/proportion de responsabilité dans la survenance du dommage.

On soulignera ici que l’application de cette dernière règle implique la possibilité pour un coobligé, en vertu d’une responsabilité objective ou de plein droit, d’être déchargé, dans ses rapports avec les autres coobligés, de toute contribution à la dette commune.


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