Conception objective de la notion d’aléa – cause génératrice du sinistre antérieure à la date de souscription. (Cass. 3e civ., 25 février 2009) — Karila

Conception objective de la notion d’aléa – cause génératrice du sinistre antérieure à la date de souscription. (Cass. 3e civ., 25 février 2009)

Ancien ID : 644

La Cour d’appel qui relève que la cause génératrice du sinistre/préjudice était l’infiltration ancienne des structures bois du plancher à partir du bac à douche de l’appartement de l’assuré et que, tenant à la nature même de la dégradation, à savoir un pourrissement du bois, il était établi qu’à la date de souscription de l’assurance, le plancher était déjà affecté, retient souverainement que la cause génératrice du sinistre, étant antérieure à la date de souscription, l’assureur avait démontré l’absence d’aléa.

Source : Cass. 3e civ., 25 février 2009, n° 08-10280

La Cour,

Donne acte à M. Verrax du désistement de son pourvoi en ce qu’il est dirigé contre la société Assurances du crédit mutuel Iard, le syndicat des copropriétaires…, 34500 Béziers et la société Proxiserve ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 7 novembre 2007), qu’en 1996, M. Verrax a acquis un appartement occupé par M. Hajjaji, locataire, situé au premier étage de l’immeuble sis à Sète,… ; que Mme Gardia qui exploite un restaurant dans des locaux situés au rez-de-chaussée, sous l’appartement de M. Verrax ayant invoqué des dégâts des eaux avec menace d’effondrement du plafond, une expertise a été ordonnée ; qu’après dépôt du rapport de l’expert, Mme Gardia et son bailleur, la société SCPA EMG, ont assigné M. Verrax, la société Assurances du crédit mutuel, la société AGF et le syndicat des copropriétaires en exécution des travaux préconisés par l’expert et indemnisation de leurs préjudices ; que M. Verrax a appelé en garantie M. Vicente et la société Proxiserve, artisans ayant réalisé des travaux dans son appartement ;

Sur le premier moyen :

Sans intérêt.

Sur le deuxième moyen :

Sans intérêt.

Sur le troisième moyen :

Attendu que M. Verrax fait grief à l’arrêt de le débouter de sa recherche en garantie à l’encontre de la société AGF alors, selon le moyen, que l’absence d’aléa ne peut être valablement opposé à l’assureur que s’il est établi que l’assuré savait en souscrivant la garantie que le risque s’était déjà réalisé ; qu’en estimant que les conséquences financières de l’effondrement partiel du plancher de l’appartement de M. Verrax, bien que cet événement soit survenu après la prise d’effet du contrat d’assurance, n’avaient pas à être prises en charge par la société AGF dans la mesure où la cause génératrice de ce sinistre, soit des infiltrations d’eau, était antérieure à la date de souscription de la police, de sorte que l’assureur pouvait se prévaloir d’une absence d’aléa, quand c’est la réalisation du sinistre, c’est-à-dire l’effondrement du plancher, qui devait seule être prise en considération à l’exclusion de ses causes lointaines, sauf à établir que cet effondrement était absolument inéluctable et était prévu par l’assuré au jour de la signature du contrat d’assurance, ce qui ne résulte pas des constatations de l’arrêt attaqué, la cour d’appel a violé l’article 1964 du code civil et les articles L. 113-1 et L. 121-15 du code des assurances ;

Mais attendu qu’ayant relevé que, contrairement à ce que soutenait M. Verrax, la cause génératrice du préjudice était l’infiltration ancienne des structures bois du plancher à partir du bac à douche de l’appartement de M. Verrax et que, tenant à la nature même de la dégradation, à savoir un pourrissement du bois, il était établi qu’à la date de souscription de l’assurance, le 10 novembre 1999, le plancher était déjà affecté puisque l’expert faisait remonter le phénomène à 1996, la cour d’appel a souverainement retenu que, cette cause génératrice étant antérieure à la date de souscription, la société AGF démontrait l’absence d’aléa ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le quatrième moyen :

Sans intérêt.

PAR CES MOTIFS

CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu’il a…

Note. 1. L’arrêt rapporté a été rendu à propos, semble-t-il, d’un contrat d’assurance de responsabilité civile, stipulé dans le cadre d’un contrat multirisque habitation.

Le caractère quelque peu dubitatif ou plus précisément prudent du propos ci-dessus, résulte de ce que la lecture de l’arrêt, comme des moyens annexés ne permettent pas d’identifier précisément la nature de l’assurance dont le demandeur au pourvoi, le Sieur Verrax, avait demandé la mobilisation, à titre de garantie, en suite de l’action dont il avait été l’objet à la requête d’une dame Gardia, exploitante d’un restaurant situé sous son appartement en rez-de-chaussée et qui avait subi des dégâts des eaux et les conséquences d’un effondrement partiel du plancher dudit appartement constituant le plafond du restaurant concerné.

2. L’arrêt rapporté, bien que non destiné à être publié au Bulletin, mérite l’intérêt d’avoir été rendu à l’occasion de l’appréciation par les juges du fond de l’aléa inhérent à tout contrat d’assurance, étant rappelé que la Cour de Cassation reconnaît, en principe, aux juges du fond le soin d’apprécier souverainement l’existence de l’aléa (Cass. 1ère civ., 20 janvier 2000, n°97-22.681, RGDA 2000, p. 1049, note J. Kullmann), appréciation nécessairement faite au jour de l’accord des volontés (Cass. 1ère civ., 15 octobre 1991, n°89-16.971, RGAT 1991, p. 874, note J. Bigot ; Cass. 2ème civ., 21 octobre 2006, n°05-19.072, RGDA 2007, p. 53, note J. Kullmann), c’est-à-dire soit au moment de la souscription du contrat d’assurance soit au moment de la signature d’un avenant audit contrat d’assurance.

3. On sait qu’il existe deux façons d’apprécier l’incertitude qui, à ce moment-là (souscription du contrat d’assurance ou signature de l’avenant), doit nécessairement exister quant à la réalisation du risque objet de l’assurance, c’est-à-dire de l’évènement conduisant à l’atteinte patrimoniale de l’assuré (assurance de choses) ou encore sa dette de responsabilité (assurance de responsabilité), savoir :

– une conception objective : pour qu’il y ait aléa, l’évènement ne doit pas être déjà réalisé au jour de l’accord de volonté des parties sur le risque assuré, la connaissance ou l’ignorance des parties, quant à ce, étant totalement indifférentes.

– une conception subjective : il y a aléa alors même que le risque serait réalisé, si les parties l’ignorent, l’aléa existant alors dans l’esprit des parties : c’est ce qu’on a appelé le risque putatif, qui serait assurable, selon certains auteurs.

4. C’est la conception objective qui semble, en l’état du droit positif, prévaloir, surtout depuis un arrêt remarqué du 7 juin 2001 (Cass. 1ère civ., 7 juin 2001, RGDA 2001, p. 675, note critique J. Kullmann), encore que la lecture de certains arrêts récents permet de constater qu’il est parfois tenu compte de l’ignorance de l’assuré au moment de la souscription du contrat de la réalisation du risque qu’il entend assurer, et ce non pas de façon simplement incidente mais décisoire notamment en matière d’assurance de choses.

5. Quelle que soit la conception pour laquelle on opte ou qui serait adoptée par le juge, il reste que se pose aussi la question de ce qu’il faut entendre par réalisation du risque, question complexe lorsqu’on est en présence de ce qu’on a dénommé le risque composite (voir sur cette question, traité du droit des assurances, tome 3, sous la direction de Jean Bigot, LGDJ octobre 2002 ; chap. I, notions générales par J. Bigot), risque composite dont certains auteurs admettent l’assurabilité dès lors que toute les composantes du risque ne sont pas réalisées et/ou connues au jour de la souscription du contrat d’assurance.

6. Or, justement en la circonstance il semble que l’on ait été en présence d’un risque composite en ce sens que sa réalisation a été progressive plusieurs faits/évènements s’étant succédés dans le temps pour atteindre sa complète réalisation.

Plus précisément, des infiltrations en provenance du plancher de l’appartement du Sieur Verrax, constituant le plafond du rez-de-chaussée du restaurant de la Dame Gardia s’étaient déjà produite et avaient nécessité l’intervention d’un ou de plusieurs entrepreneurs pour y mettre fin, avant que ne se produise l’effondrement (semble-t-il partiel) dudit plancher et ses conséquences financières.

7. La Cour de Montpellier avait débouté le Sieur Verrax de son action en garantie contre son assureur au motif que « le sinistre n’a pas un caractère accidentel compte tenu de l’antériorité du renouvellement des désordres.

Il est imputable à un affaiblissement des ouvrages en bois des parties communes (plancher) détériorées par des infiltrations d’eau dont l’origine se situe dans une partie privative…

D’après l’état dans lequel se trouve le bois, il y a tout lieu de penser que ces infiltrations durent depuis longtemps car même si elles ne traversent pas complètement le plancher, elles ont imbibé longuement le bois et l’ont mis dans des bonnes conditions pour que se développe la pourriture cubique… date d’apparition : le sinistre est connu de tous depuis près de six ans maintenant. Le maintien en l’état sans examen approfondi de son origine a permis dans ce délai la dégradation irréversible du plancher… que la cause génératrice des préjudices est l’infiltration ancienne des structures bois du plancher… que tenant la nature même de la dégradation, à savoir un pourrissement du bois, il est bien établi qu’à la date de souscription de l’assurance AGF… (10 novembre 1999), le plancher était déjà affecté puisque l’expert fait le remonter le phénomène à 1996… que les AGF rapportent donc la démonstration technique, non sérieusement contestée, de l’absence d’aléa consubstantiel au contrat d’assurance, dès lors que la cause génératrice du préjudice est indubitablement antérieure à la date de souscription ».

8. A l’appui de son pourvoi, le Sieur Verrax prétendait à :

– la violation de l’article 1964 du Code civil qui vise au nombre des contrats aléatoires le contrat d’assurance,

– l’article L.113-1 du Code des assurances qui pose le principe de la garantie de l’assureur en cas de pertes et dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré,

– l’article L.121-15 du Code des assurances qui édicte le principe de la nullité du contrat d’assurance « si, au moment du contrat, la chose assurée a déjà péri ou ne peut plus être exposée aux risques », texte au visa duquel de très nombreux arrêts de la Cour de Cassation ont été rendus,

et ce en raison de ce que « c’est la réalisation du sinistre, c’est-à-dire l’effondrement du plancher, qui devait seule être prise en considération à l’exclusion de ses causes lointaines, sauf à établir que cet effondrement était absolument inéluctable et était prévu par l’assuré au jour de la signature du contrat d’assurance… ».

Le Sieur Verrax, en définitive, défendait la conception subjective de l’aléa.

9. La Haute Juridiction rejette le pourvoi au moyen d’une motivation axée sur la conception objective de l’aléa d’une part et l’éviction implicite de l’admissibilité de l’idée selon laquelle en matière de risque composite l’aléa existe dès lors que tous les éléments du risque ne sont pas réalisés au jour de la souscription du contrat d’assurance d’autre part, en ce sens que le plancher, bien que déjà affecté, ne s’est effondré ou n’a entrainé les conséquences préjudiciables pour le restaurant de la Dame Gardia qu’après plusieurs séries d’infiltrations et plusieurs actions réparatoires infructueuses.

10. Dans son arrêt de rejet sur ce point, la 3ème Chambre Civile ne vise pas expressément l’absence de violation des textes précités qui fondaient le moyen du pourvoi (article 1964 du Code civil, article L.113-1 du Code des assurances et article L.121-15 du Code des assurances), le rejet étant opéré après un simple contrôle de motivation de l’arrêt critiqué de la Cour de Montpellier, la Haute Juridiction relevant qu’à raison même des constatations de ladite Cour, en particulier du fait qu’elle avait relevé que la cause génératrice du préjudice était l’infiltration ancienne des structures bois du plancher, à partir du bac à douche de l’appartement de Monsieur Verrax, et de la nature même de la dégradation, il est établi qu’à la date de souscription de l’assurance… le plancher était déjà affecté…, de sorte qu’elle « a souverainement retenu que, cette cause génératrice étant antérieure à la date de souscription, la Société AGF démontrait l’absence d’aléa ».

11. L’arrêt rapporté emporte notre approbation, notamment en raison du fait que nonobstant la conception objective de l’aléa qu’il consacre, il est clair que l’assuré, et cela n’a pas été ignoré par les Hauts Magistrats de la Cour de Cassation ni bien sûr par les juges du fond, avait connaissance au moment de la souscription du contrat, que le sinistre était pour le moins en cours de réalisation.

Jean-Pierre Karila – RGDA 2009 n° 2, p. 463

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