Aléa contractuel et clause interdisant d’étendre le bénéfice de la garantie à un sinistre antérieur et certitude, au moment de la conclusion du contrat, de la réalisation du risque découlant du sinistre antérieur (Cass. 2e civ., 30 juin 2011). — Karila

Aléa contractuel et clause interdisant d’étendre le bénéfice de la garantie à un sinistre antérieur et certitude, au moment de la conclusion du contrat, de la réalisation du risque découlant du sinistre antérieur (Cass. 2e civ., 30 juin 2011).

Assurances en général – Sinistre survenu avant la souscriptiondu contrat. Sinistre survenu en cours du contrat suite au précédent. Garantie de l’assureur : recherche nécessaire tant en ce qui concerne l’existence d’une clause interdisant d’étendre le bénéfice de la garantie à un sinistre antérieur qu’en ce qui concerne la certitude au moment de la conclusion du contrat, de la réalisation de risque découlant du sinistre antérieur.

Viole les articles L. 113-9, L. 121-15 du Code des assurances, ensemble l’article 1134 du Code civil, la cour d’appel qui, pour débouter l’assuré de son action à l’encontre de son assureur dommages ouvrage dit que la garantie n’était pas mobilisable faute d’aléa lors de la souscription du contrat d’assurance, au motif que le sinistre survenu en 2005 n’était que la suite de celui survenu en 1994 dont l’assureur n’avait pas eu connaissance sans constater l’existence d’une clause du contrat interdisant d’étendre le bénéfice des stipulations contractuelles à un sinistre antérieur ni relever qu’au moment de la conclusion du contrat, ce sinistre antérieur, était certain dans sa réalisation et déterminable dans son étendue.

Cour de cassation (2e Ch. civ.) 30 juin 2011 Pourvoi no 10-21235

Non publié au Bulletin

« SCI Florette c/ Axa France Iard et Allianz SA

La Cour,

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Fructicomi a acheté en 1995 à la société César un immeuble à usage commercial, dont le gros œuvre avait été réalisé par la société Alves, assurée auprès des Assurances générales de France (AGF), actuellement dénommée Allianz ; que la société Fructicomi a consenti sur ce bien un contrat de crédit-bail immobilier au profit de la société de Florette pour une durée de 15 ans commençant à courir le 15 septembre 1995 ; que ces deux sociétés ont souscrit auprès de la société Uni Europe, aux droits de laquelle vient la société Axa France IARD, un contrat dassurances avec effet au 25 octobre 1995, couvrant notamment les dommages matériels aux biens loués et les pertes de loyers ; que la société de Florette a sous-loué les lieux à la société Innovation le 20 décembre 2004 ; que le 2 mai 2005, des hourdis, éléments de constructions, sont tombés dans le hall d’exposition ; que la société de Florette a déclaré le sinistre auprès de son assureur, la société Uni Europe ; que la société Innovation a assigné en référé la société de Florette pour obtenir la suspension du paiement de ses loyers et la réalisation des travaux de réfection nécessaires ; qu’il résulte de l’expertise judiciaire que des dommages, du fait de la chute d’autres hourdis, étaient survenus en 1994 et avaient été déclarés en 1995 auprès des AGF ; qu’assignée au fond devant un tribunal de grande instance par la société locataire en février 2007 en réparation des divers préjudices subis, la société de Florette a elle-même fait assigner la société Axa France IARD, en paiement des montants des travaux de réparation de l’immeuble, de la perte des loyers, des frais d’expertise et des dommages-intérêts ; que la société Axa France IARD a appelé en garantie les AGF au titre de la garantie décennale de l’entrepreneur principal ;

Sur le second moyen : [sans intérêt]

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles L. 113-9, L. 121-15 du Code des assurances, ensemble l’article 1134 du Code civil ;

Attendu que pour débouter la société de Florette de ses demandes à l’encontre de son assureur Axa France IARD au titre du contrat d’assurance dommage et responsabilité civile, l’arrêt retient notamment, par motifs propres et adoptés, que les conclusions de l’expert judiciaire précisent « être dans le même cas de figure que la précédente déclaration de sinistre de 1995 sachant qu’actuellement les désordres se généralisent à l’ensemble des planchers » et suffisent à établir que ces chutes de hourdis constituent un seul et même sinistre ; qu’il ne résulte pas des pièces produites que l’assureur, la société Uni Europe, ait conclu le contrat en octobre 1995 en ayant connaissance du sinistre initial affectant les hourdis et de l’expertise en cours sur ce point, à la suite des premières manifestations du sinistre ; que dans ces conditions, la société Axa France IARD venant aux droits d’Uni Europe fait justement valoir que la garantie n’est pas mobilisable, faute d’aléa lors de la souscription du contrat ;

Qu’en statuant ainsi, en se bornant à énoncer que le sinistre survenu en 2005 n’était que la suite de celui survenu en 1994 et que l’assureur n’avait pas eu connaissance de ce sinistre, sans constater l’existence d’une clause interdisant d’étendre le bénéfice des stipulations contractuelles à un sinistre antérieur ni relever qu’au moment de la conclusion du contrat le risque découlant de cet accident antérieur était certain dans sa réalisation et déterminable dans son étendue, la cour d’appel a violé les articles susvisés ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen :

Casse et annule. »

Note

1.L’arrêt rapporté a été rendu dans une espèce opposant un maître d’ouvrage à un assureur de responsabilité décennale d’un constructeur d’une part et à son propre assureur qui avait délivré une assurance dommages ouvrage et une assurance de responsabilité civile dont on peut supposer qu’il s’agissait en la circonstance d’un contrat CNR.

2.On précisera au niveau factuel que :

– les contrats souscrits auprès de la Compagnie AXA France IARD (assurance dommages ouvrage et contrat CNR) l’avaient été au mois de mars 1996 à effet du 22 octobre 1995 ;

– antérieurement à la signature des contrats d’assurance dont s’agit un sinistre constitué par l’effondrement d’hourdis dans un local dépendant d’un ensemble immobilier édifié entre 1988 et 1991 était survenu en 1994/1995 et avait été à l’époque réparé et indemnisé par le constructeur responsable de plein droit en vertu de l’article 1792 du Code civil et son assureur de responsabilité décennale, la Compagnie AGF devenue ALLIANZ ;

– postérieurement à la signature des contrats précités délivrés par AXA France IARD, survenaient en 2005, c’est-à-dire après l’expiration de la garantie décennale, des désordres de même nature donnant lieu à une expertise judiciaire, l’expert ayant conclu qu’il s’agissait du « même cas de figure que la précédente déclaration de sinistre de 1995  ».

3.C’est dans ces circonstances que la Cour de Versailles puis la Cour de cassation ont eu à traiter :

– de la question de savoir si les désordres survenus postérieurement à l’expiration de la garantie décennale en 2005 devaient ou non être indemnisés par l’assureur de responsabilité décennale, la réponse à cette question étant commandée par celle de savoir si les désordres dont s’agit pouvaient ou non être qualifiés de désordres « évolutifs » ;

– de la question de savoir, si dans les circonstances de l’espèce, il y avait, comme l’avait soutenu la Compagnie AXA France IARD, défaut d’aléa au moment de la conclusion des contrats d’assurance.

I. SUR LA QUESTION DES DÉSORDRES ÉVOLUTIFS

4.Cette question ne sera qu’évoquée, le lecteur étant invité à se reporter à nos développements dans le cadre de nos notes publiées dans la présente revue sous Cass. 3e civ., 6 juillet 2011 no 10-17965 et no 10-20136 (RGDA 2011, p. 1039) et Cass. 3e civ., 22 juin 2011, no 10-16308 (RGDA 2011, p. 1023).

On indiquera seulement que la Cour de cassation a validé, en déclarant non fondé le second moyen du pourvoi (non reproduit) du maître d’ouvrage qui reprochait à la Cour de Versailles de l’avoir débouté de ses demandes formulées au titre de la garantie décennale à raison de la prescription de l’action à ce titre, alors que, selon ledit moyen, le sinistre survenu en 2005 n’était que l’aggravation de celui dénoncé dans le délai décennal.

La Haute Juridiction déclare, à juste titre, le moyen non fondé en raison de ce que si les désordres considérés trouvaient bien leur siège dans l’ouvrage où un désordre de même nature était survenu, la cour d’appel avait néanmoins « exactement jugé que l’action en garantie au titre de la responsabilité décennale du constructeur était prescrite » dès lors que « la réparation du sinistre initial n’avait pas été demandée en justice avant l’expiration  » du délai de la garantie décennale.

II. SUR L’ASSURABILITÉ DU RISQUE PUTATIF

5.L’arrêt rapporté – qui n’est pas destiné à être publié au bulletin – consacre la conception subjective de la notion d’aléa en admettant l’assurabilité d’un risque putatif, étant rappelé que le risque putatif est celui dont les parties ignorent, au moment de la conclusion du contrat, qu’il s’est déjà réalisé.

On rappellera que la notion d’aléa est définie par les articles 1104 et 1964 du Code civil comme un « événement incertain » tandis que la validité d’un contrat d’assurance est, par principe, subordonnée à la non-réalisation de l’événement ou encore du risque que l’on veut assurer au moment de la conclusion du contrat d’assurance, la Cour de cassation ayant à de nombreuses reprises jugé que l’aléa en constituait l’essence même (Cass. 1re civ. 15 janvier 1985, Bull. civ., I, no 1 ; Cass. 1re civ., 6 avril 1996, no 94-11174).

Les conditions retenues par la jurisprudence pour admettre l’existence d’un aléa, sont fluctuantes, et si l’on peut dire, incertaines ou encore diverses.

Est-il nécessaire que les deux parties au contrat aient ignoré la réalisation du risque que le contrat d’assurance a pour objet de garantir ou suffit-il que l’une des parties, en particulier l’assuré, l’ait ignoré, pour que le risque déjà réalisé soit néanmoins garanti

La jurisprudence vise de facto seulement, la connaissance par l’assuré de la réalisation du risque et décide logiquement qu’il n’y a pas lieu à garantie car « un contrat d’assurance, par nature aléatoire, ne peut garantir un risque que l’assuré sait déjà réalisé » (Cass. 1re civ., 4 novembre 2003 ; Cass. 1re civ., 12 février 1991, no 88-18149 ; Cass. 1re civ., 10 avril 1996, no 94-11174 précité ; Cass. 3e civ., 4 avril 2002, no 00-11598).

Dans les circonstances de l’espèce, il était certain que l’assuré avait eu connaissance, lors de la conclusion du contrat d’assurance, de l’existence d’un sinistre qui s’était produit antérieurement, tandis qu’il était contesté que l’assureur ait eu également connaissance dudit sinistre, auquel cas à l’évidence la mobilisation de sa garantie pouvait éventuellement se justifier.

La Cour de Versailles, pour dire que la garantie de la Compagnie AXA France IARD n’était justement pas mobilisable, s’était bornée à énoncer que le sinistre survenu en 2005 n’était que la suite de celui survenu en 1994/1995 d’une part, et que si l’assuré avait eu connaissance dudit sinistre, en revanche il n’était pas établi que l’assureur en ait eu, en ce qui le concerne, connaissance d’autre part.

C’est donc l’unicité du sinistre, la connaissance par l’assuré de sa première manifestation mais son ignorance par l’assureur qui ont entraîné la conviction des juges du fond quant à l’absence d’aléa.

On observera ici que l’unicité du sinistre était, dans le cadre d’une conception objective de l’aléa, en soi suffisante à écarter la garantie de l’assureur mais la Haute Juridiction à néanmoins cassé l’arrêt de la Cour de Versailles en adoptant, comme il sera plus amplement précisé ci-après une conception subjective de l’aléa.

6.Le premier moyen de cassation comportait 3 branches dont la première qui prétendait que la cour d’appel n’avait pas caractérisé l’absence d’aléa et violé les articles L. 113-9, L. 121-15 du Code des assurances et 1134 du Code civil, faisait valoir que l’absence d’un aléa suppose que le risque était certain et que les parties en avaient connaissance le jour de la conclusion du contrat ; qu’en se bornant, pour dire qu’il n’y avait pas d’aléa, à relever que l’assureur n’avait pas eu connaissance du sinistre antérieur, sans constater qu’au moment de la conclusion du contrat le risque de répétition de ce sinistre – qui s’était produit 10 ans auparavant – était déterminable, certain et connu .

7.La cassation est prononcée au visa de la première branche du moyen, la Haute Juridiction n’ayant pas estimé nécessaire de statuer sur les autres branches du moyen.

La cassation est prononcée à raison du fait que la Cour de Versailles n’avait pas constaté l’existence d’une clause interdisant le bénéfice des stipulations contractuelles à un sinistre antérieur, ni relevé qu’au moment de la conclusion du contrat, le risque découlant de ce sinistre antérieur était certain dans sa réalisation et déterminable dans son étendue .

On observera ici que c’est l’exacte reproduction de la formule adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 8 juillet 1994 (Cass. 1re civ., 8 juillet 1994, no 92-1551, Bull. civ. I, no 235) « reproduction » tellement exacte que dans l’arrêt rapporté la Haute Juridiction vise dans le considérant justifiant la cassation, non pas le « sinistre antérieur » comme indiqué ci-dessus, mais « l’accident antérieur », termes utilisés dans l’arrêt précité du 8 juillet 1994 rendu en matière d’assurance maladie à propos d’un accident de santé…

8.On aura relevé par ailleurs que la cassation est prononcée notamment pour violation de l’article L. 113-9 du Code des assurances dont le domaine d’application est stricto sensu, étranger à la question de l’aléa, mais le moyen l’invoquait…

J.-P. et L. Karila – RGDA n° 2011-04, P. 947

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