La succession de Polices d’Assurances n’équivaut pas à un contrat unique et une clause subordonnant la garantie à l’existence d’une réclamation du tiers lésé est illicite (Cass. civ. 1ère., 19 janvier 1994) — Karila

La succession de Polices d’Assurances n’équivaut pas à un contrat unique et une clause subordonnant la garantie à l’existence d’une réclamation du tiers lésé est illicite (Cass. civ. 1ère., 19 janvier 1994)

Police individuelle de base (ancien régime). Succession de polices. Contrat d’assurance unique (non). Application du plafond de garantie en vigueur au moment de l’exécution des travaux et non pas au moment de leur achèvement ou encore au moment de la déclaration de sinistre. Illicéité de la clause subordonnant la garantie à l’existence d’une réclamation formulée en cous de validité du contrat d’assurance.

La Cour qui constate que la clause de reprise du passé stipulée dans un contrat d’assurance, l’a été aux conditions et limites d’un précédent contrat d’assurance, en déduit exactement que c’est le plafond de garantie stipulé dans ce dernier contrat d’assurance qui doit recevoir application, quelle que soit la date d’achèvement des travaux, ou encore de la réception des ouvrages.

La stipulation du contrat d’assurance, selon laquelle le dommage n’est garanti que si la réclamation de la victime a été formulée au cours de la période de validité du contrat, aboutit à priver l’assuré du bénéfice de l’assurance en raison d’un fait qui ne lui est pas imputable, et à créer un avantage illicite, comme dépourvu de cause, au profit du seul assureur qui aurait alors perçu des primes sans contrepartie ; cette stipulation doit en conséquence être réputée non écrite.

Cour de cassation (1ère Ch. civ.) n° 91-13329, 19 janvier 1994

Société Deromedi c/ Commercial Union

La Cour,

Sur le second moyen du même pourvoi, pris en ses trois branches :

Attendu qu’il est encore fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir fait application du plafond de garantie, stipulé dans la police d’assurance souscrite par la Société Deromedi le 31 juillet 1970, alors, selon le moyen, d’abord, que la police d’assurance conclue sans limitation de durée et qui fait l’objet de modifications successives sans résiliation, mais avec reprise du passé, s’analyse en un contrat unique qui se poursuit sans interruption entre les parties et qui a pour objet de garantir l’ensemble des ouvrages dont l’exécution a été commencée depuis la date d’effet initiale ; qu’en l’état, d’une part, de l’article 7 de la police prenant effet au 1er janvier 1981, et déclarant faire suite sans interruption à la police n°970-038 du 1er janvier 1973, faisant elle-même suite à celle du 21 décembre 1970, d’autre part, de l’article 3 de la police de 1981 stipulant que les garanties s’exercent par marché pour l’ensemble des réclamations découlant d’une même cause initiale, quelle que soit la date de celle-ci, à concurrence des montants maxima visés ci-après, et enfin, de l’article 10 des conditions générales stipulant que les garanties s’appliquent aux travaux dont l’exécution a été commencée depuis la date d’effet de la police souscrite sans interruption auprès d’une société adhérente à la section construction, la Cour, qui a constaté que le sinistre avait été déclaré en 1982, devait faire application du plafond de garantie en vigueur à la date de la réclamation ; qu’en faisant, dès lors, application du plafond stipulé par le contrat du 31 juillet 1970 dont elle a constaté par ailleurs la disparition, la Cour d’appel a méconnu la loi des parties ; alors, ensuite, que, pour apprécier les conditions de la reprise du passé, il convient d’analyser les clauses de la police applicable à la date de la déclaration du sinistre, c’est-à-dire en 1982, époque où était applicable le contrat ayant pris effet au 1er février 1981 ; que cette police se borne à indiquer à l’article 7 qu’elle fait suite sans interruption à la police n°970-038 du 27 juillet 1973, sans reprendre la précision figurant précédemment à l’article 7 de cette police de 1973, selon laquelle les travaux commencés antérieurement bénéficient des garanties de l’ancienne police ; que son article 3 ne limite pas, non plus, sa garantie aux travaux commencés postérieurement à la date d’effet de la nouvelle police, comme le prévoyait l’article 3 du contrat du 27 juillet 1973 ; qu’il en résulte qu’en 1982, date de la déclaration du sinistre, en l’absence de stipulations contraires, c’est la garantie prenant effet au 1er janvier 1981 qui était intégralement applicable ; qu’en décidant, dès lors, que c’est la police du 31 juillet 1970 qui devait être appliquée, la Cour d’appel a méconnu les dispositions contractuelles ; et alors, enfin, que l’article 11 des conditions générales du contrat du 31 juillet 1970 stipule que les garanties cessent en cas de résiliation du contrat, et ne prévoit la possibilité de poursuivre les garanties que pour les seuls ouvrages exécutés et terminés, c’est-à-dire réceptionnés pendant la durée du contrat, sous réserve du paiement de la prime subséquente ; qu’en l’état de cette clause, la Cour devait en déduire que la reprise du passé aux conditions de l’ancienne police ne pouvait concerner que les seuls ouvrages réceptionnés avant la modification des garanties ; qu’en soumettant néanmoins à la police du 31 juillet 1970 les ouvrages réceptionnés en 1979, la Cour d’appel a, une fois encore, méconnu les stipulations contractuelles ;

Mais attendu que la Cour d’appel a constaté que la police souscrite le 27 juillet 1973, avec effet au 1er janvier 1973, précisait dans l’article 7 de ses conditions particulières que « les travaux de l’assuré dont le marché a été passé ou, à défaut, dont l’exécution a été commencée depuis la date d’effet de la police remplacée (souscrite le 31 juillet 1970 sous le numéro 958 508, avec effet à compter du 1er janvier 1970), bénéficieront des garanties de l’ancienne police qui s’appliquera dans ses dispositions et limites à la seule exception de la franchise dont le montant sera celui résultant de l’article 6 des présentes conditions particulières » ; qu’elle en a exactement déduit, après avoir encore constaté que le marché de la Société Deromedi était daté du 21 décembre 1970, et que les travaux avaient été commencés au mois d’août de la même année et achevés avant le 16 mai 1979, jour de leur réception définitive, qu’était applicable aux désordres litigieux la limite de garantie prévue par la police du 31 juillet 1970, peu important que deux autres polices, datées l’une du 30 mai 1980, avec effet au premier janvier précédent, l’autre du 9 mars 1981, avec effet à compter du 1er janvier 1981, aient été souscrites pendant la période écoulée entre l’achèvement des travaux et la déclaration de sinistre faite en 1982 ; que, par suite, le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal n°E/91-13.708 de la Compagnie Commercial Union et du pourvoi incident de la Compagnie Sis Assurances :

Attendu que ces assureurs font grief à l’arrêt attaqué que les avoir déclarés tenus de garantir le bureau d’études BE GE CE, et de les avoir condamnés à indemniser la Compagnie La Concorde, assureur de la SCI dans les droits de laquelle elle était subrogée alors que, selon le moyen, dans les assurances de responsabilité, le sinistre n’étant constitué que lorsque le dommage pouvant entraîner la responsabilité de l’assuré fait l’objet d’une réclamation de la victime, ce qui le distingue du simple fait dommageable représentant uniquement un sinistre éventuel en l’absence d’une telle réclamation, la clause contractuelle qui subordonne la mise en jeu de la garantie de l’assureur à l’existence d’une réclamation du tiers lésé pendant la période de validité du contrat, est licite et opposable à la victime de sorte qu’en décidant le contraire, la Cour d’appel a violé les articles L. 124-1, L. 111-2 et L. 113-5 du Code des Assurances ;

Mais attendu que le versement de primes pour la période qui se situe entre la prise d’effet du contrat d’assurance et son expiration, a pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent leur origine dans un fait qui s’est produit pendant cette période ; que la stipulation de la police, selon laquelle le dommage n’est garanti que si la réclamation de la victime, qui, en tout état de cause, est nécessaire à la mise en ?uvre de l’assurance de responsabilité, a été formulée au cours de la période de validité du contrat, aboutit à priver l’assuré du bénéfice de l’assurance en raison d’un fait qui ne lui est pas imputable et à créer un avantage illicite, comme dépourvu de cause, au profit du seul assureur qui aurait alors perçu des primes sans contrepartie ; que cette stipulation doit, en conséquence, être réputée non écrite ; que, par ce motif, substitué à celui de la Cour d’appel, l’arrêt se trouve légalement justifié et que, par suite, les moyens ne sont pas fondés ;

Par ces motifs,

Rejette …

Note. L’arrêt rapporté rejette les pourvois tant principaux que provoqués et incidents, formés à l’encontre d’un arrêt de la Cour de Paris du 21 janvier 1991.

Nous nous bornerons ici à le commenter au regard de seules questions intéressant le droit des assurances, celles relatives à la responsabilité en présentant, dans les circonstances de l’espèce, aucun intérêt particulier.

En ce qui concerne plus particulièrement le droit des assurances, l’arrêt rapporté est intéressant en ce qu’il refuse de considérer qu’une succession de Polices d’Assurances équivaut à un contrat unique, dont les garanties seraient celles stipulées dans la dernière Police, quelle que soit la date des travaux, source des dommages.

La Cour Suprême confirme par ailleurs dans cet arrêt sa jurisprudence issue des arrêts du 19 décembre 1990 sur l’illicéité de la clause subordonnant la garantie à l’existence d’une réclamation du tiers lésé pendant la période de validité du contrat d’assurance.

1. Pour une meilleure compréhension de la solution posée par la Cour Suprême, au regard de la première question ci-dessous évoquée, il est nécessaire de préciser brièvement les circonstances de l’espèce.

Une Entreprise Générale Tous Corps d’Etat, en exécution d’un marché en date du 21 décembre 1970, réalise un ensemble immobilier important à Nancy.

De fait, ladite Entreprise initie les travaux avant même la signature de son marché, et ce, dès août 1970, et les achève en mars 1979, la réception étant prononcée sans réserves en mai 1979.

L’entreprise dont il s’agit avait, tant avant l’exécution des travaux, que pendant et postérieurement à leur exécution et leur complète terminaison, souscrit successivement plusieurs Polices Individuelles de Base, dont la première était à effet du 1er janvier 1970, et la dernière à effet du 1er janvier 1981.

Des désordres affectant certains ouvrages se révèlent en 1982 et font alors l’objet d’une réclamation du tiers lésé.

La Cour de Paris, après une analyse minutieuse des différentes stipulations contractuelles des Polices successives, et notamment de la clause de reprise du passé stipulée dans un contrat souscrit à effet du 1er janvier 1973, qui énonçait que : « le présent contrat fait suite à la Police n° … souscrite le 1er janvier 1970. En conséquence, les travaux de l’assuré dont le marché a été passé, ou à défaut dont l’exécution a été commencée depuis la date d’effet de la Police remplacée, bénéficieront, auprès du présent assureur, des garanties de l’ancienne Police qui s’applique dans ses dispositions et limites à la seule exception de la franchise, dont le montant sera celui résultant de l’article 6 des présentes Conditions Particulières » … donnait satisfaction à l’assureur qui prétendait justement à l’application du plafond de garantie stipulé dans le premier contrat à effet du 1er janvier 1970.

Le second moyen produit au soutien du pourvoi de l’Entreprise prétendait à la violation de l’article 1134 du Code Civil, au prétexte que les différentes Polices Individuelles de Base souscrites, sans limitation de durée et qui ont fait l’objet de modifications successives sans résiliation, mais avec une reprise du passé, devaient s’analyser en un contrat unique qui s’était poursuivi sans interruption entre les parties, et qui avait pour objet de garantir l’ensemble des ouvrages dont l’exécution avait été commencée depuis la date d’effet de la première Police souscrite, et que dès lors que le sinistre avait été déclaré en 1982, il devait être fait application du plafond de garantie en vigueur à la date de la réclamation, c’est-à-dire du plafond de garantie stipulé dans le contrat à effet du 1er janvier 1981.

La Cour Suprême valide la décision de la Cour de Paris après avoir constaté que la clause de reprise du passé stipulée dans la Police souscrite à effet du 1er janvier 1973, l’avait été aux conditions et limites de la présente Police à effet du 1er janvier 1970, et dit que la Cour de Paris en avait exactement déduit l’application du plafond de garantie stipulé dans la dernière Police, peu important que deux autres Polices aient été souscrites pendant la période écoulée entre l’achèvement des travaux et la déclaration de sinistre faite en 1982.

On ne peut qu’approuver cette solution qui ne fait qu’appliquer en la circonstance la loi des parties, dans les termes de l’article 1134 du Code Civil, dont la Cour de Paris n’avait à l’évidence pas méconnu les dispositions.

S’agissant d’un contrat non régi par la Loi du 4 janvier 1978, la question de la licéité du plafond de garantie ne se posait pas et ne l’avait d’ailleurs pas été.

2. L’arrêt rapporté valide par ailleurs, mais par substitution de motifs, la décision de la Cour de Paris, en ce que celle-ci avait condamné l’assureur de responsabilité d’un Bureau d’Etudes, dans les limites de cette responsabilité, à indemniser un assureur de dommages subrogé dans les droits de la victime, nonobstant l’existence d’une clause subordonnant la mise en jeu de la garantie de l’assureur de responsabilité à l’existence d’une réclamation du tiers lésé pendant la période de validité du contrat.

La Cour de Paris, qui ignorait sans doute à l’époque la jurisprudence issue des arrêts rendus quelques jours plus tôt (19 décembre 1990) par la 1ère Chambre civile, avait déclaré – conformément d’ailleurs à l’état de la jurisprudence jusqu’au 19 décembre 1990 (Cass. Civ. 1ère 2 janvier 1985, Bull. Civ. I, n°28 ; RGAT 1985, 410 ; Cass. Civ. 3ème 8 avril 1987 RGAT 1987.250) – ladite clause inopposable au tiers lésé, et donc à son subrogé.

La Cour Suprême rejette le moyen de l’assureur de responsabilité qui soutenait la licéité de la clause au regard même des articles L. 124-1, L. 112-2 et L. 113-5 du Code des Assurances, et dit l’arrêt légalement justifié par la motivation qu’elle lui substituera, qui n’est que la stricte reproduction de la formulation des arrêts de principe du 19 décembre 1990, jurisprudence depuis lors largement confirmée nonobstant les critiques formulées par la doctrine la plus autorisée (voir RGAT 1991.155, note critique de M. J. Bigot).

Jean-Pierre Karila

RGDA 1994 – 2 – p. 571

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