L’assureur dommages-ouvrage ne peut exclure de ses garanties les éléments d’équipement de l’ouvrage (Cass. 3e civ., 18 déc. 2013) — Karila

L’assureur dommages-ouvrage ne peut exclure de ses garanties les éléments d’équipement de l’ouvrage (Cass. 3e civ., 18 déc. 2013)

Revue générale du droit des assurances, 01 février 2014 n° 2, P. 118

ASSURANCE

L’assureur dommages-ouvrage ne peut exclure de ses garanties les éléments d’équipement de l’ouvrage

Clauses types ; Exclusion de garantie des désordres affectant des éléments d’équipement ; Validité (non)

ASSURANCE

par Jean-Pierre Karila

avocat à la cour, barreau de Paris

docteur en droit

professeur à l’ICH

chargé d’enseignement à l’Institut des Assurances de Paris

et Laurent Karila

avocat à la cour, barreau de Paris

chargé d’enseignement à l’école de droit de la Sorbonne (Paris 1)

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Cass. 3e civ., 18 déc. 2013, no 13-11441, PB

Viole les articles L. 242-1 et A. 243-1 du Code des assurances, la clause d’une police d’assurance dommages-ouvrages excluant expressément de la garantie les matériels et équipements de filtration, traitement de l’eau, traitement hydraulique dès lors qu’une police dommages-ouvrages ne peut exclure de la garantie les éléments d’équipement pouvant, en cas de désordres les affectant, entraîner la responsabilité décennale des constructeurs.

M. X. c/ SAGENA et autre

La Cour,

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 octobre 2012), que M. X a fait édifier une villa avec piscine ; que les travaux de gros œuvre ont été confiés à la société CO RE BAT, assurée auprès de la société MMA et les travaux de second œuvre à la société Omnitech ; qu’une assurance dommages-ouvrage a été souscrite auprès de la société Sagena ; que les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 26 juillet 2006 ; que des désordres étant apparus, une expertise a été ordonnée ; que M. Y, ès qualités de liquidateur de la société CO RE BAT, a assigné M. X en paiement d’un solde sur marché ; que M. X a assigné la société Omnitech, la société MMA et la société Sagena en indemnisation de ses préjudices ; que les deux instances ont été jointes ;

Sur le quatrième moyen. […>

Mais sur le deuxième moyen. […]

Et sur le troisième moyen :

Vu les articles L. 242-1 et A. 243-1 du Code des assurances ;

Attendu que pour mettre hors de cause la société Sagena, l’arrêt retient que, concernant les désordres hydrauliques, aux termes de l’article 3. 2 des conditions générales de la police d’assurance souscrite par M. X auprès de la société Sagena sont exclus expressément de la garantie les matériels et équipements de filtration, traitement de l’eau, traitement hydraulique, qu’en application de l’article L. 113-1 du Code des assurances, cette clause est parfaitement valable pour ne concerner nullement en l’espèce certains types de travaux ou certaines techniques de construction, mais un certain nombre de matériels ou d’équipements, savoir ceux relatifs à la filtration, au traitement de l’eau et au traitement hydraulique, qu’il n’y a donc pas, en l’espèce, comme le soutient M. X, de réduction de protection de garantie et que la société Sagena ne saurait garantir ces désordres, expressément exclus ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’une police dommages-ouvrage ne peut exclure de la garantie les éléments d’équipement pouvant, en cas de désordres les affectant, entraîner la responsabilité décennale des constructeurs, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, […]

CASSE ET ANNULE, […]

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2. Le contenu de tout contrat d’assurance relevant de l’assurance obligatoire est un contenu obligé. L’article A. 243-1 du Code des assurances édicte en effet que :

« Tout contrat d’assurance pour l’application du titre IV [l’assurance des travaux de construction> du livre II [les assurances obligatoires] du Code des assurances : doit obligatoirement comporter les clauses figurant :

Aux annexes I et III au présent article, en ce qui concerne l’assurance de responsabilité ;

À l’annexe II au présent article, en ce qui concerne l’assurance de dommages.

Toute autre clause du contrat ne peut avoir pour effet d’altérer d’une quelconque manière le contenu ou la portée de ces clauses, sauf si elle s’applique exclusivement à des garanties plus larges que celles prévues par le titre IV du livre II du présent code ».

Étant précisé que l’article L. 243-8 du Code des assurances (titre IV chapitre III – dispositions communes) énonce :

« Tout contrat d’assurance souscrit par une personne assujettie à l’obligation d’assurance en vertu du présent titre est, nonobstant toute clause contraire, réputé comporter des garanties au moins équivalentes à celles figurant dans les clauses types prévues par l’article L. 310-7 [devenu l’article L. 111-4] du présent code ».

3. Aussi, si les parties, assureur et assuré, peuvent librement décider du contenu des garanties dites « facultatives », stipulées à l’occasion d’un contrat d’assurance couvrant la responsabilité décennale ou les dommages de nature de ceux relevant de ladite responsabilité, comme par exemple la couverture des dommages immatériels consécutifs à des dommages matériels garantis ou encore la couverture d’assurance de la garantie biennale de non-fonctionnement édictée par l’article 1792-3 du Code Civil, en revanche, les stipulations de la police portant sur les garanties dites « obligatoires » ne peuvent conduire à un amoindrissement de la protection voulu par la loi et le règlement de l’assuré ou des victimes.

4. Les conséquences des principes ci-dessus évoqués ont été – à de nombreuses reprises – rappelées à l’occasion du contrôle par le juge de stipulations ayant pour objet la couverture d’assurance obligatoire de la responsabilité décennale. C’est ainsi par exemple :

– qu’il a été jugé au visa des articles L. 241-1, L. 243-8 et A. 243-1 ensemble son annexe I du Code des assurances que la clause d’exclusion de garanties stipulée dans une police responsabilité civile décennale des activités exercées par l’assuré en qualité de constructeur de maisons individuelles, avait pour conséquence d’exclure la garantie de certains travaux de bâtiment réalisés par l’entrepreneur dans l’exercice de sa profession, faisant ainsi échec aux règles d’ordre public relatives à l’étendue de l’assurance de responsabilité obligatoire en matière de construction et devait par suite être réputée non écrite (v. Cass. 3e civ., 17 juin 1992, n° 89-19716 : Bull. civ. III, n° 208 ; RGAT 1992, note H. Périnet-Marquet ; RDI 1992, p. 355, obs. G. Legay). Cette solution a été réitérée le 15 décembre 1993 (v. Cass. 1re civ., 15 déc. 1993, n° 91-10437 : RGAT 1994, p. 568, note J.-P. Karila) ;

– qu’il a été jugé au visa des articles L. 241-1, L. 243-8 et A. 243-1 du Code des assurances et de l’annexe I de ce dernier article, que la clause excluant de la garantie les procédés non traditionnels n’ayant pas fait l’objet d’un avis technique du CSTB, avait pour conséquence d’exclure de la garantie certains travaux de bâtiment réalisés par l’assuré dans l’exercice de son activité d’entrepreneur, faisant ainsi échec aux règles d’ordre public relatives à l’étendue de l’assurance de responsabilité obligatoire en matière de construction et devait par suite être réputée non-écrite (v. Cass. 1re civ., 7 juill. 1993, n° 91-10071 : Bull. civ. I, n° 247 ; RGAT 1994, p. 172, note J. Bigot) ;

– qu’il a été jugé au visa des articles L. 241-1, L. 243-8 et A. 243-1 (ainsi que son annexe I) du Code des assurances que la clause limitant la garantie des travaux réalisés par un entrepreneur à ceux effectués en exécution d’un contrat louage d’ouvrage, faisait échec aux règles d’ordre public relatives à l’étendue d’assurance de responsabilité obligatoire en matière de construction et devait, par suite, être réputée non-écrite (v. Cass. 3e civ., 2 mars 2005, n° 03-16583 ; Bull. civ. III, n° 48 RDGA 2005, p. 152, note J.-P. Karila – Cass. 1re civ., 10 déc. 1996, n° 94-20757).

5. Dans les circonstances de l’espèce ayant conduit à l’arrêt rapporté, les conditions générales de la police excluaient de la garantie les matériels et équipements de filtration, traitement de l’eau, traitement hydraulique d’une piscine.

La cour d’appel avait jugé la clause valide par référence à l’article L. 113-1 du Code des assurances car ladite clause ne concernait, selon elle, pas certains types de travaux ou certaines techniques de travaux de construction, la cour d’appel opposant en conséquence implicitement mais nécessairement les décisions ci-avant évoquées, objet des arrêts précités concernant notamment l’exclusion de certains travaux ou techniques de construction, avec la situation de l’espèce objet du litige qu’elle devait trancher.

C’était néanmoins oublier que sous couvert d’une exclusion limitée à certains matériels ou éléments d’équipement, l’assureur de facto :

– ajoutait une exclusion autre que celle prévue par la clause type ;

– contrevenaità l’interdiction qui lui avait été faite par la loi et le règlement d’atténuer ou de réduire la couverture d’assurance des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs sur le fondement des articles 1792 et 1792-2 du Code civil.

On relèvera ici que les matériels et équipements dont s’agit devaient être probablement des éléments d’équipement dissociables au sens de l’article 1792-3 du Code civil encore que la lecture des moyens du pourvoi, comme de l’arrêt d’appel, ne permet pas de l’affirmer.

En tout état de cause, qu’il se soit agi d’éléments d’équipement indissociables au sens de l’article 1792-2 du Code civil ou d’éléments d’équipement dissociables au sens de l’article 1792-3 dudit code, ils ne pouvaient être exclus de la garantie d’assurance de l’assureur dommages-ouvrages dès lors que les désordres pouvant les affecter pouvaient avoir pour conséquence de rendre l’ouvrage dans son ensemble, c’est-à-dire la piscine, impropre à sa destination, en application de l’article 1792 du code précité.

6. L’arrêt rapporté ne peut donc être approuvé. On relèvera qu’il a été rendu au visa des articles L. 242-1 (assurance dommages-ouvrages) et A. 243-1 du Code des assurances (clauses types concernant l’assurance obligatoire), sans référence, laquelle aurait été opportune, à l’annexe II dudit article A. 243-1 du code précité (clauses types de l’assurance dommages-ouvrages), étant rappelé que les décisions ci-dessus évoquées rendues en matière d’assurance de responsabilité visaient les article L. 242-1 (assurance de responsabilité), L. 243-8 (les assurances obligatoires) et A. 243-1, ensemble son annexe I (clauses types concernant l’assurance de responsabilité.)


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