Juge judiciaire, juge administratif : la frontière affinée. — Karila

Juge judiciaire, juge administratif : la frontière affinée.

Déterminer la juridiction compétente en cas de litige relève parfois d’un art subtil.

Article paru p. 84 du Moniteur du 15 janvier 2016

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Titre : Contrats. Juge judiciaire, juge administratif : la frontière affinée. Déterminer la juridiction compétente en cas de litige relève parfois d’un art subtil.

Par Laurent Karila, avocat associé

(Karila, société d’avocats), chargé d’enseignement à l’université Paris Panthéon-Sorbonne

La fin de l’année 2015 a donné l’occasion aux magistrats de confirmer la compétence du juge judiciaire pour deux types d’actions spécifiques, l’action directe contre l’assureur et l’action en garantie contre le sous-traitant d’un marché public de travaux.

Rappelons que notre droit distingue les compétences des tribunaux judiciaires et des tribunaux administratifs. Et considère, depuis la jurisprudence « Castro » (1) et la loi Murcef du 11 décembre 2001, que le litige né de l’exécution d’un marché public de travaux opposant des participants à l’exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé, d’une part ; et que les marchés passés en application du Code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs, d’autre part.

Partage de compétence. On pourrait résumer cela en énonçant que le juge administratif est compétent  pour traiter de toutes les actions en responsabilité contractuelle et/ou délictuelle engagées par l’un des acteurs à l’acte de construire, que l’objet du procès soit une obligation dérivant ou non d’un contrat administratif –c’est ce qu’on appelle le caractère « attractif de la compétence administrative »-, sauf si la nature de l’obligation objet du procès participe d’un contrat de droit privé.

C’est ainsi le juge administratif est compétent pour traiter :

–  de la responsabilité contractuelle de toute personne ayant conclu un marché passé en application du Code des marchés publics (constructeur lié au maître d’ouvrage public par un contrat de louage d’ouvrage, assureur ayant passé un contrat d’assurance avec une personne publique…) ;

–  de la responsabilité délictuelle de toute personne partie à un contrat de droit privé (sous-traitants des constructeurs de premier rang envers le maître d’ouvrage public, puisqu’ils ne sont pas liés avec ce dernier par un contrat de droit privé) ;

–  et de la responsabilité de la personne publique et de son assureur vis-à-vis d’un tiers voisin victime.

Le juge judiciaire, lui, est compétent pour traiter :

–  des actions croisées en responsabilité contractuelle et/ou délictuelle des constructeurs de premier rang et des sous-traitants les uns envers les autres,

–  et des actions délictuelles directes engagées par la personne publique à l’encontre de l’assureur d’un constructeur de premier rang ou de son sous-traitant, cette dernière action, distincte de l’action en responsabilité civile contre l’assuré, étant relative à l’exécution d’un contrat de droit privé passé avec l’assuré (constructeur ou sous-traitant), alors même que l’appréciation de la responsabilité de son assuré dans la réalisation du fait dommageable relèverait de la juridiction administrative.

Décisions récentes. C’est dans ce contexte qu’un arrêt de la Cour de cassation vient de confirmer que, lorsque sont établis à la fois l’existence de la responsabilité de l’assuré à l’égard de la victime et le montant de la créance d’indemnisation de celle-ci contre l’assuré, le juge judiciaire peut connaître de l’action directe contre l’assureur de l’auteur du dommage (2).

Par ailleurs, le Tribunal des conflits (3) a rendu une décision (4) précisant que, lorsque le titulaire d’un marché public de travaux engage une action en garantie contre un sous-traitant dans le cadre d’un litige qui l’oppose au maître d’ouvrage public, le juge judiciaire est compétent en raison du contrat de droit privé qui lie l’entrepreneur au sous-traitant.

(1) T. confl., 24 novembre 1997, n° 3060.

(2) Cass. 2e civ., 10 septembre 2015, n° 14-22023, Bull.

(3) Juridiction qui a pour mission de résoudre les conflits de compétence entre les juridictions de l’ordre judiciaire et celles de l’ordre administratif et de prévenir un déni de justice en cas de contrariété de décisions définitives rendues dans le même litige.

(4) T. confl., 16 novembre 2015, n° 4029.

Ce qu’il faut retenir

ü  La ligne de partage entre la compétence du juge judiciaire et celle du juge administratif a été fixée par la jurisprudence « Castro » de 1997. Le litige né de l’exécution d’un marché public de travaux opposant des participants à l’exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé.

ü  Deux décisions récentes sont venues confirmer la compétence du juge judiciaire pour deux types d’actions spécifiques.

ü  Ainsi, lorsque l’existence de la responsabilité de l’assuré à l’égard de la victime et le montant de la créance d’indemnisation de celle-ci contre l’assuré sont établis, le juge judiciaire peut connaître de l’action directe contre l’assureur de l’auteur du dommage.

ü  Ce juge est également compétent lorsque le titulaire d’un marché public de travaux engage une action en garantie contre un sous-traitant dans le cadre d’un litige qui l’oppose au maître d’ouvrage public.


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