Le Moniteur – Panorama de droit de la construction – Cours d’appel – Premier semestre 2015 — Karila

Le Moniteur – Panorama de droit de la construction – Cours d’appel – Premier semestre 2015

Marches privés : six mois de droit de la construction Sélection des décisions les plus instructives rendues par les Cours d’appel du pays au premier semestre 2015 Par Laurent Karila Avocat associé (Karila, Société d’avocats) Chargé d’enseignement à l’Université de Paris I Sorbonne
COURS D’APPEL – PREMIER SEMESTRE 2015
 
 

L’OUVRAGE, l’ELEMENT D’EQUIPEMENT ET LA RECEPTION

Qualification d’ouvrage ou d’élément d’équipement

Une installation de panneaux photovoltaïques incorporés dans un bâtiment existant qui a nécessité la dépose de l’ancienne toiture et son remplacement, assurant ainsi une fonction de clos, de couvert et d’étanchéité du bâtiment, doit recevoir la qualification d’ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil (CA Montpellier, 1e ch., Section AO1, 5 février 2015, RG n° 14/03241). En revanche, un « générateur photovoltaïque », qualifié en la circonstance d’élément d’équipement dissociable, est jugé comme ayant une destination professionnelle au sens de l’article 1792-7 du Code civil en raison de sa finalité de revente d’énergie entre professionnels. Ce qui exclut l’application des articles 1792 à 1792-3 du Code civil (CA Paris, Pôle 4 Chambre 6, 24 février 2015, n° 13/16719). Quid de la pompe à chaleur installée à l’extérieur du pavillon existant couplée à un pilote hydroélectrique posé à l’intérieur, le tout sans percement du sol ni enterrement de câbles, les raccordements n’ayant nécessité que le percement des murs pour faire passer les liaisons ? La cour d’appel d’Amiens relève que le démontage de l’installation apparaît réalisable sans détérioration du support, seul le colmatage des trous de passage des liaisons devant être alors assuré. L’installation ne constitue donc ni un ouvrage au sens de l’article1792du Code civil, ni un élément indissociable au sens de l’article 1792-2 et relevant de la garantie de l’article 1792-3, mais un élément relevant de la seule la responsabilité contractuelle de droit commun de l’article 1147, puisqu’elle a été adjointe à un ouvrage existant (CA Amiens, 1e  ch., 17 février 2015, n° 13/04474). Une centrale électrogène de secours  faisant partie d’une unité complète composée d’ateliers en froid positif et en chambres froides, d’une chaîne de dosage et de conditionnement ainsi que d’un poste de livraison électrique, n’est pas assimilée à un ouvrage, puisqu’elle est démontable et ne fait pas corps avec le bâtiment (CA Toulouse, 2ch.,1e Section, 14 janvier 2015, n° 12/01051). L’installation d’une chaudière qui consiste en la mise en place de tuyaux, leur raccordement, et la mise en œuvre d’une évacuation, ne constitue pas davantage un ouvrage (CA Lyon, 1e ch. A, 30 avril 2015, n° 13/09224).

Réceptions tacite et judiciaire, et leurs effets

La seule prise de possession de l’immeuble apparaît insuffisante à caractériser la réception tacite par une volonté non équivoque d’accepter avec ou sans réserve les travaux, au regard, d’une part, des nombreux désordres et non-conformités au document technique unifié (DTU) et aux règles de l’art dénoncées par le maître d’ouvrage et, d’autre part, de l’absence de paiement intégral du prix (CA Aix-en-Provence, 3e ch. A, 15 janvier 2015, n°13/16286). La réception judiciaire des travaux de rénovation d’une maison d’habitation est fixée à la date d’un constat d’huissier. Certains désordres apparents à cette date, décrits dans le constat, ne purgent toutefois pas la responsabilité décennale des constructeurs, puisqu’ils se sont révélés dans leur ampleur et leur gravité décennale postérieurement à la réception judiciaire (CA Poitiers, 1e ch., 23 janvier 2015, n°13/02922). La réception judiciaire d’une autre maison est fixée à la date d’achèvement des travaux et de son habitabilité, c’est-à-dire en l’espèce à la date d’un protocole prenant en compte les réserves formulées par les maîtres d’ouvrage, et ce, alors même que la remise des clefs n’a été ordonnée judiciairement que sept mois plus tard (CA Poitiers, 1e ch., 6 février 2015, n°13/02966).  

LES GARANTIES LEGALES

Droit à agir

Les vendeurs d’un bien immobilier ne sont pas recevables à agir sur le fondement de la responsabilité décennale, même en réparation d’un dommage survenu avant la cession et dont ils ont eux-même demandé réparation par l’introduction d’une assignation délivrée avant la vente. En effet, à la date de leurs dernières conclusions, ils n’étaient plus propriétaires du bien (CA Paris, Pôle 4, ch. 5, 21 janvier 2015, RG n° 12/23554).

Imputabilité des responsabilités

L’entrepreneur qui réalise des travaux de reprise consistant en la pose de 34 picots sous dallage pour stabiliser l’immeuble ne justifie d’aucune cause étrangère exonératoire de responsabilité au motif de l’inadaptation des fondations mises en œuvre par le constructeur d’origine, dès lors qu’il a été spécialement mandaté pour remédier au vice de construction existant. Il est donc jugé responsable des désordres constatés affectant les fondations et le gros œuvre qui compromettent la solidité de l’ouvrage. (CA Bordeaux, 1e ch. section A, 26 janvier 2015, RG n° 12/06964). On relèvera que la Cour de cassation a rendu récemment deux arrêts en sens inverse (Cass. 3e civ., 8 avril 2014, n° 13-16692 ; Cass. 3e civ., 17 décembre 2013, n° 12-29642).

Gravité décennale

L’impropriété à destination d’un bâtiment à usage d’agence bancaire à raison de désordres de nature esthétique affectant les panneaux de bois de revêtement de façade n’est pas retenue par la Cour d’appel de Paris, faute de circonstances particulières (immeuble classé ou de grand standing par exemple). L’absence d’élément susceptible de révéler que l’aspect prématurément vieilli des panneaux de parement litigieux aurait eu un quelconque impact sur l’activité de l’établissement bancaire a conduit à écarter l’impropriété à destination alléguée (CA Paris, Pôle 4 ch. 6, 17 avril 2015, n° 13/20370). Si les fissures affectant la façade et les enduits intérieurs d’un autre bâtiment génèrent un préjudice esthétique important, elles n’ont d’incidence ni sur la solidité, ni sur l’impropriété à destination des locaux ; mais engagent la responsabilité contractuelle du constructeur qui n’a pas attiré l’attention du maître d’ouvrage sur le manque de vérification de la nature du sol et a poursuivi les des travaux d’affouillement sans alerter le maître de l’ouvrage (CA Lyon, 20 janvier 2015, n° 13/06812). Le défaut de planéité d’une cuisine et la non-conformité aux règles de l’art de la mini-chape (son épaisseur étant inférieure aux prescriptions du DTU applicable) ne suffisent pas à caractérisé l’impropriété à la destination de l’ouvrage dès lors que les maîtres d’ouvrage, qui affirment interdire l’accès de la cuisine à leurs enfants et craindre la chute d’une chaise sur la pente créée, ne le démontrent pas (CA Paris, pôle 4 ch. 6, 20 février 2015, n° 12/09784). Le fait que le carrelage d’un pavillon sonne creux sur une partie de la salle à manger et ponctuellement dans d’autres pièces n’est pas considéré comme une pathologie structurelle et ne porte atteinte à la destination de l’immeuble, les occupants n’étant pas en danger (CA Douai, ch. A, 2e section, 4 février 2015, n° 14/01401). En revanche, le défaut de fermeture de la porte-fenêtre du séjouretle défaut d’étanchéité à l’eau de la porte-fenêtre de la chambre peuvent relever de la garantie décennale des constructeurs dès lors qu’ils entraînent une impropriété de l’ouvrageà sa destination au sens del’article 1792 du Code civil (CA Bordeaux, 1e ch., section B, 22 janvier 2015, n°13/02372).

Prescription

La prescription décennale est acquise dès lors que l’action judiciaire de l’acquéreur a été exercée plus de dix ans après la réception des travaux de reprise en sous-œuvre de l’entrepreneur. L’acquéreur ne peut se prévaloir de l’effet interruptif des assignations en référé délivrées par l’assureur dommage ouvrage avant l’expiration du délai de dix ans (CA Paris, Pôle 4, ch. 6, 23 janvier 2015, n° 13-13998). La participation à une expertise amiable peut valoir renonciation tacite à se prévaloir de la prescription/forclusion du délai décennal, dès lors que les circonstances établissent sans équivoque la volonté d’y renoncer. En l’espèce, de telles circonstances n’étaient pas démontrées. De plus, et surtout, à la date de la participation à l’expertise, la prescription n’était pas acquise. Or, en vertu de l’article 2250 du code civil, « seule une prescription acquise est susceptible de renonciation » (CA Bordeaux, 5ech., 14 janvier 2015, n° 13/00162).  

MARCHES DE TRAVAUX

La découverte de l’état de la structure au cours de la phase de démolition n’est pas une circonstance imprévisible pouvant permettre la sortie du forfait défini à l’article 1793 du Code civil. Les travaux en litige n’avaient pas une ampleur de nature à bouleverser l’économie du marché. En conséquence, le contractant général titulaire d’un marché à forfait n’est pas fondé à réclamer au maître d’ouvrage le paiement de travaux supplémentaires (CA Lyon 8e ch., 3 février 2015, n°13-06831). La cour d’appel de Pau a par ailleurs rappelé que les dispositions de l’article 1793 du Code civil ne sont pas applicables à une convention de sous-traitance entre deux entreprises (CA Pau, 1e Ch., 12 janvier 2015, n° 13/02685).

RESPONSABILITE TOUS AZIMUTS

Garantie des vices cachés

Le syndicat des copropriétaires étant tiers au contrat de vente entre le promoteur immobilier et chacun des copropriétaires acquéreurs, il n’est pas titulaire des actions issues du contrat de vente que lesdits copropriétaires peuvent exercer sur le fondement de la garantie des vices cachés. (CA Paris, Pôle 4 ch. 6, 23 janvier 2015, RG n° 11/10206). Un diagnostic annexé à l’acte de vente fait état de traces d’humidité jusqu’à 37%, de champignons, de pourriture molle et de la dégradation par pourriture au premier étage et fait mention de « Mesures conservatoires : danger grave et imminent sur les ouvrages ou certains éléments de l’immeuble objet de la présente mission ». S’il ne mentionne pas expressément le mot « mérule », le diagnostic était suffisamment clair pour qu’un acquéreur profane prenne conscience des infiltrations et de la dégradation consécutive aux champignons de pourriture cubique ou molle. Le vice est donc jugé apparent, ce qui empêche l’action fondée sur la garantie des vices cachés de prospérer (CA Rennes 4e ch., 4 février 2015, n° 11/06646).

Troubles anormaux de voisinage

Une perte annuelle d’ensoleillement de moins d’une heure par jour, essentiellement en hiver au soleil couchant, n’est pas suffisante pour exercer une action judiciaire fondée sur la théorie des troubles anormaux de voisinage, eu égard à la zone urbanisée, même de façon diffuse et aérée, dans laquelle s’insère la construction qui respecte le plan d’occupation des sols et les règles d’urbanisme (CA Bordeaux, 5e Chambre, 5 février 2015, RG n° 13/21192). La menace d’effondrement d’un terrain situé en amont et objet de travaux, sur le terrain voisin, situé à l’aval, cause un trouble anormal de voisinage, peu importe que la propriétaire du premier des deux terrains ait obtenu un permis de construire. En effet, le respect des dispositions légales ou administratives n’exclut pas l’existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage. Le propriétaire du terrain situé en amont est seul condamné sous astreinte à remédier à la situation, en construisant un mur de soutènement ou un talus-glacis suffisant pour retenir les terres situées au-dessus (CA Caen, 1e ch, 20 janvier 2015, RG n° 12/02867). Des travaux occultant un jour au niveau du sol qui, de par sa taille, est insuffisant à éclairer la cuisine, ne caractérisent pas l’existence d’un trouble anormal de voisinage, l’expert notant par ailleurs que l’insuffisance d’éclairement a été compensée par la pose de vitres dans la cloison séparant la cuisine du salon qui, lui, ouvre sur la rue (CA Paris, pôle 4 ch. 1, 15 janvier 2015, n°12/14360).

EXPERTISE

  Le défaut de la convocation à certaines réunions d’expertise à laquelle doit procéder l’expert judiciaire en vertu de l’article 160 du Code de procédure civile justifie le prononcé de la nullité du rapport, dès lors que les sociétés défenderesses n’ont pas été en mesure de communiquer leurs dires en temps voulu avec toutes les informations leur permettant de le faire. La cour d’appel de Bordeaux énonce que si des investigations purement matérielles et techniques peuvent se dérouler hors la présence des parties, comme le relevé de mesures acoustiques pour lesquelles le caractère inopiné et non programmé peut se révéler utile, il n’en reste pas moins que ces opérations ne doivent pas porter atteinte aux droits de la défense (CA Bordeaux, 1e ch. section A, 26 janvier 2015, RG n° 13/3096).  

ASSURANCES

Déclaration de risques

Postérieurement aux désordres survenus sur le site, il est apparu que l’architecte avait déclaré à son assureur une activité limitée au permis de construire, alors que le contrat l’avait investi d’une mission complète. L’assureur était donc fondé à solliciter l’application de la règle proportionnelle édictée à l’article L.113-9 du Code des assurances, et à obtenir que l’architecte ne soit garanti qu’à hauteur de 35 % des condamnations susceptibles d’être mises à sa charge, puisqu’il n’avait payé une cotisation égale qu’à 35 % de celle qu’il aurait dû régler en cas de déclaration exacte et complète (CA Bordeaux, 1e ch. section B, 16 février 2015, n° 13/02177). Les maîtres d’ouvrage à qui a été transmise une attestation d’assurance de responsabilité civile de l’entreprise couvrant l’activité de « conditionnement air ventilation » sont fondés à soutenir qu’une pompe à chaleur est un dispositif permettant de transférer de la chaleur d’une source froide vers une source chaude au moyen d’appareils utilisant les techniques de conditionnement de l’air ou de l’eau. L’activité dommageable entrait donc bien dans le champ d’application des activités pour lesquelles l’entreprise est assurée, et ce peu importe que ladite entreprise n’ait pas déclaré l’activité d’installation de pompe à chaleur (CA Orléans, 19 janvier 2015, n° 14/0025).

Règle proportionnelle

L’augmentation non déclarée à l’assureur de l’effectif de l’entreprise -qui est passé de 8 à 11 salariés- modifie l’opinion qu’à l’assureur des risques encourus par son assuré et a justifié l’application d’une réduction proportionnelle de primes de 30 % (CA Orléans, 19 janvier 2015, n° 13/03828).

Clause formelle et limitée

La formulation d’une clause de la police d’assurance excluant la garantie pour les dommages résultant « du fait intentionneloudu dol de l’adhérent, définis dans le présent contrat comme les conséquences de la violationoude l’omission caractérisée d’une des obligations contractuellesourègles professionnelles stipulées à l’annexe, accomplie même sans intention de provoquer le dommage » est génératrice d’ambiguïté, source d’interprétations et est susceptible de s’appliquer à des quantités incertaines de situations. En effet, elle introduit de manière maladroite et confuse les conséquences de la violationoude l’omission caractérisée d’une des obligations contractuelles d’une part, et ne satisfait pas à la définition de la faute intentionnelle de l’assuré qui implique la volonté de créer le dommage et non pas seulement d’en créer le risque d’autre part. Cette clause doit donc être considérée comme non écrite, puisqu’en application de l’article L. 113-1 du Code des assurances, une clause d’exclusion de garantie ne peut être qualifiée de « formelle et limitée » dès lors qu’elle doit être interprétée (CA Toulouse, 1e ch. section 1, 23 février 2015, n°13/02854).

Tous Risques Chantier (TRC)

En application de l’article L.121-12 du Code des assurances, l’assureur TRC subrogé dans les droits du maître d’ouvrage n’a pas qualité à exercer son action subrogatoire à l’encontre de ses propres assurés constructeurs et leurs sous-traitants. Mais il est toutefois recevable à agir à l’encontre de leurs assureurs de responsabilité, lesquels ne sont pas recevables à agir dans leurs recours internes à l’encontre des autres assurés dès lors que cela reviendrait à annuler pour eux le bénéfice de l’assuranceTRC (CA Paris, pôle 4e, ch. 6, 20 mai 2015, RG n°13/09122).

Dommages ouvrage

La majoration de l’intérêt légal, due de plein droit à titre de sanction aux termes de l’article L.242-1 du Code des assurances pour non-respect des délais de 60 et 90 jours de la procédure amiable en dommages ouvrage, s’applique à compter d’une sommation de payer ou de tout acte équivalent, en l’espèce, de l’assignation de l’assureur (CA Rennes, 4e chambre, 5 février 2015, n°11/07648).

Erratum

La précédente chronique de jurisprudence relative aux marchés privés, parue dans « Le Moniteur » du 17 avril 2015, contient une erreur quant au sens de deux arrêts relatifs à la sous-traitance (Cass. 3e civ., 8 juillet 2014, n°13-20055 ; Cass. 3e civ., 8 juillet 2014, n°11-22274, 11-22742). ces arrêts précisent que, par application de l’article 2270-1 du code civil, dans sa rédaction alors applicable, les actions formées contre le sous-traitant, se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. Il faut donc retenir de ces arrêts que, lorsque l’action judiciaire est introduite à l’encontre du sous-traitant avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 8 juin 2005 portant modification de diverses dispositions relatives à l’obligation d’assurance dans le domaine de la construction (soit le 10 juin 2005), il doit être fait application du régime antérieur. Pour rappel, lorsque l’action est engagée postérieurement au 10 juin 2005, il est fait une application immédiate (et non rétroactive) de la loi, c’est-à-dire que la prescription décennale des actions en responsabilité dirigées contre un sous-traitant court à compter du 10 juin 2005. A noter que la prescription est acquise si le délai prévu par la loi antérieure a expiré avant le délai prévu par la législation nouvelle.  

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