Panneaux d’isolation constituent des éléments indifférenciés et non pas des EPERS (Civ. 3e, 27 février 2008) — Karila

Panneaux d’isolation constituent des éléments indifférenciés et non pas des EPERS (Civ. 3e, 27 février 2008)

Ancien ID : 589

Assurance construction – Responsabilité des fabricants d’EPERS – Champ d’application. Appréciation. Contrôle de la Cour de cassation. N’engage pas sa responsabilité sur le fondement de l’article 1792-4 du Code civil le fabricant de panneaux d’isolation destinés à assurer l’isolation thermique de locaux professionnels dès lors qu’en l’espèce, les panneaux étaient des matériaux indifférenciés n’ayant donné lieu à aucune étude spécifique ni à un dimensionnement particulier.

1. La responsabilité des fabricants d’EPERS sur le fondement de l’article 1792-4 du Code civil, après une longue période pendant laquelle la qualification semblait délaissée, a connu ces dernières années, une certaine actualité contentieuse en rapport avec la survenance de sinistres sériels concernant des panneaux d’isolation thermique constitués d’une couche de mousse polyuréthane comprise entre un parement de tôle (côté extérieur) et un parement en polyesther (côté intérieur), dits « panneaux sandwichs », commercialisés notamment par une société PLASTEUROP aujourd’hui liquidée.

2. Cet arrêt intervient dans la ligné d’un arrêt d’Assemblée plénière du 26 janvier 2007 (Ass. Plén., 26 janvier 2007, no 06-12165, Bull. civ. 2007, AP, no 2, RGDA 2007.369, note J.-P. Karila , D. 2007, p. 981, note Ph. Malinvaud) statuant dans une affaire qui avait déjà donné lieu à un arrêt de la troisième chambre (Cass. 3e civ., 22 septembre 2004, no 03-10325, Bull. civ. 2004, III, no 151, RDI 2004, p. 571, note Ph. Malinvaud) et de trois arrêts du 25 avril 2007 (Cass. 3e civ., 25 avril 2007, no 05-20585, no 05-17838 et no 05-20459, Bull. civ. 2007, III, no 58, RGDA 2007.647 et s., note J.-P. Karila , Rép. Defrénois 2008, p. 71, note H. Périnet-Marquet), la Cour ayant, à l’occasion de ces arrêts comme dans la présente affaire, manifestement adopté une démarche casuistique contrôlant la motivation de la décision qui lui était soumise, ie. si les matériaux fabriqués présentaient, en l’espèce, les caractéristiques les rendant éligibles à l’article 1792-4 du Code civil, c’est-à-dire s’ils étaient conçus et produits pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l’avance.

3. Nous ne reviendrons pas sur la distinction qu’il convient d’opérer selon nous entre conditions déterminant le champ d’application de la responsabilité solidaire de l’article 1792-4 du Code civil et celles déterminant sa mise en oeuvre, conditions qui ont été rappelées à l’occasion du commentaire de l’arrêt d’Assemblée plénière précitée (v. note J.-P. Karila , RGDA 2007.373, no 3). Nous ne reviendrons pas davantage sur les précédents arrêts ayant statué relativement aux panneaux d’isolation thermique type PLASTEUROP, la question ayant déjà été traitée par ailleurs (v. note précité de J.-P. Karila , RGDA 2007.373 et 374, no 4).

4. Nous nous cantonnerons à souligner ici comment la Cour de cassation va confirmer un arrêt de la Cour de Besançon qui :

– après avoir admis le particularisme des matériaux recherchés devant permettre une isolation thermique pour des locaux destinés au traitement de denrées alimentaires ;

– estimait néanmoins que ces panneaux constituaient des éléments indifférenciés dès lors qu’ils étaient présentés sur catalogue par le fabricant, qu’ils devaient être mis en oeuvre sur place par les entrepreneurs, qu’aucune étude préalable des besoins n’avait été réalisée par le maître de l’ouvrage, pas plus que le fabricant n’avait été rendu destinataire de mesures spécifiques pour ce chantier ;

– et écartait en conséquence toute application de l’article 1792-4 du Code civil pour lui préférer celle de l’article 1641 dudit Code relatif à la garantie des vices cachés (droit commun de la vente).

5. Le pourvoi formé par la société AVIVA en sa qualité d’assureur de l’entrepreneur ayant mis en oeuvre les matériaux, reprochait, dans son moyen unique pris en des deux branches, à l’arrêt d’appel d’avoir violé l’article 1792-4 du Code civil en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations écartant la qualification d’EPERS en considération du caractère indifférencié des matériaux achetés (pour les motifs ci-dessus rapportés), alors qu’une telle considération n’était pas susceptible d’exclure la qualification d’EPERS, s’appuyant notamment sur les conclusions du Professeur Bigot qui avait conclu, dans le cadre d’une consultation délivrée à l’assureur, en faveur de la qualification d’EPERS en considération de la spécificité de la destination des isolants (isolation thermique des entrepôts frigorifiques ou locaux agroalimentaires à température négative ou positive).

6. Dans la logique de l’arrêt d’Assemblée plénière précité, la troisième chambre va ici rejeter le pourvoi. Dès lors que la Cour de Besançon avait « constaté qu’il n’était aucunement justifié qu’en l’espèce ces panneaux avaient été l’objet d’une fabrication spécifique pour les besoins précis des locaux de la Centrale laitière de Franche-Comté, qu’il n’avait été fait état d’aucune étude fixant à l’avance la capacité d’isolation thermique que devaient présenter ces panneaux ni d’aucune commande faisant référence à un dimensionnement particulier, il s’agissait d’éléments indifférenciés pouvant être utilisés pour des locaux autres », elle a pu en déduire que ces panneaux ne relevaient pas des dispositions de l’article 1792-4 du Code civil.

7. Cet arrêt confirme que la qualification d’EPERS dépend des circonstances factuelles propres à chaque espèce. On ne saurait donc énoncer de catégorie générique voulant que tel matériau fabriqué ou distribué par telle société, relèverait en soi de la qualification d’EPERS ou non.

L’application de l’article 1792-4 du Code civil dépend d’une double casuistique :

– celle devant conduire le juge à s’interroger sur le fait de savoir si, dans l’espèce dont il est saisi, le matériau a bien été fabriqué en quelque sorte « sur mesure » et ne constitue donc pas un matériau indifférencié ;

– et, dans la seule affirmative, celle qui lui impose de rechercher si le matériau considéré a été mis en oeuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant.

8. On notera qu’au-delà de la question relative aux EPERS, même si le pourvoi ne contestait pas ces solutions, l’arrêt de la Cour de Besançon, présentait un intérêt en matière d’assurance relativement au contrat d’assurance souscrit par le fabricant d’EPERS.

La Cour de Besançon a en effet estimé que « le fait, pour les parties au contrat d’assurance souscrit par le fabricant des panneaux, d’avoir prévu une garantie couvrant la responsabilité pouvant être encourue par l’assuré sur le fondement de l’article 1792-4 du Code civil, s’analyse en une simple précaution destinée à se conformer à l’obligation légale d’assurance, pour le cas où les produits fabriqués par l’assuré seraient considérés comme relevant du régime de responsabilité précité ; qu’en aucun cas il ne peut en être déduit une renonciation de l’assureur à discuter l’application de l’article 1792-4 du Code civil aux produits assurés ».

La solution est, selon nous, d’autant plus justifiée en l’espèce que la qualification d’EPERS pourra, au gré des contrats, relever ou non de la responsabilité solidaire de l’article 1792-4 du Code civil.

La Cour de Besançon ajoute encore que, dès lors que l’article 1792-4 du Code civil n’avait pas vocation à s’appliquer en l’espèce, l’assureur ne devait pas sa garantie au titre de la garantie obligatoire, mais au titre de la garantie facultative couvrant les autres éléments fabriqués par l’assuré. Il en découlait que l’assureur pouvait opposer aux victimes le plafond de garantie stipulé au contrat.

On peut discuter de la validité de ce raisonnement : l’un des soussignés de la présente note avait en effet, au lendemain de la loi du 4 janvier 1978, estimé et soutenu publiquement que les dispositions de l’article L. 241-1 du Code des assurances n’obligeaient pas le fabricant d’EPERS à souscrire l’assurance obligatoire de la responsabilité décennale puisqu’aussi bien celui-ci n’était pas directement tenu à ladite responsabilité décennale étant seulement rendu, par l’effet de la loi, solidairement responsable des obligations qui découlent des articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du Code civil.

Il en résulterait, à s’en tenir à une interprétation stricte et littérale, que l’assurance souscrite par le fabricant d’EPERS est toujours facultative y compris lorsque sa responsabilité est engagée sur le fondement de l’article 1792-4 du Code civil.

Cette opinion est restée isolée en doctrine tandis que la jurisprudence n’a jamais eu l’occasion d’exprimer son avis sur ce point.

Source : Cass. 3ème civ., sect., 27 février 2008, n° 07-11280

J.-P. Karila , C. Charbonneau – RGDA 2008 – 2 – p. 391

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