Point de départ de la responsabilité civile décennale. — Karila

Point de départ de la responsabilité civile décennale.

Application dans le temps de la garantie. Point de départ. Garanties obligatoires. Commencement effectif des travaux par l’assuré. La notion d’ouverture de chantier s’entend comme désignant le commencement effectif des travaux confiés à l’assuré.

Cour de cassation (3e Ch. civ.) 27 septembre 2006 Pourvoi no 05-15214

SAS Archimen fluides c/ AXA France IARD et a.

La Cour,

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Dijon, 15 mars 2005), que la société Hôtelière de la Côte-d’Or, propriétaire d’un hôtel, a confié, par contrat du 13 octobre 1997, à la société Bureau d’études techniques Archimède, aux droits de laquelle se trouve la société Archimen fluides, une mission complète de maîtrise d’oeuvre relative à la restructuration du système de chauffage et de climatisation de son établissement ; que des pannes et des dysfonctionnements ayant affecté le système mis en place, la société Hôtelière de la Côte-d’Or a assigné les divers intervenants à l’opération, dont la société Archimen fluides, laquelle a appelé en garantie la société Axa France, l’un de ses assureurs ;

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 241-1 et A. 243-1 du Code des assurances ;

Attendu que pour débouter la société Archimen de sa demande en garantie dirigée contre la société Axa France IARD, l’arrêt retient que la date d’ouverture du chantier doit être considérée comme étant celle de la première intervention de l’un quelconque des entrepreneurs sur le chantier, soit, en l’espèce, février 1998, et que le contrat d’assurance ayant été résilié le 31 décembre 1997, la garantie de l’assureur n’est pas due ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la notion d’ouverture de chantier s’entend comme désignant le commencement effectif des travaux confiés à l’assuré, la cour d’appel, qui avait constaté que le contrat confiant la maîtrise d’oeuvre complète de l’opération de construction à la société Archimen était du 13 octobre 1997, a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs :

Casse et annule.



Note

1. Le litige ayant donné lieu à l’arrêt rapporté concerne la désormais classique question de l’application dans le temps d’un contrat d’assurance de la responsabilité décennale, ou encore plus précisément celle du point de départ de la garantie d’assurance : doit-on tenir compte, considération étant évidemment prise de la date d’effet du contrat d’assurance, de la date de la déclaration réglementaire du chantier (DROC) ou de celle du début effectif des travaux par l’assuré, les contrats d’assurance stipulant dans des termes plus ou moins analogues que la garantie concerne les travaux réalisés dans le cadre d’un chantier dont l’ouverture est postérieure à la date d’effet du contrat.

2. On rappellera ici qu’il résulte de l’ensemble jurisprudentiel constitué par un arrêt remarqué du 7 mai 2002 (Cass. 1re civ., 7 mai 2002, Bull. civ. I no 119) suivi par des arrêts rendus en 2003 et 2004, notamment des arrêts rendus le 29 avril 2003 (Cass. 1re civ., 29 avril 2003, no 00-12.631, RGDA 2003.512, note A. d’Hauteville) le 16 septembre 2003 (Cass. 3e civ., 16 septembre 2003, no 02-12.607, RGDA 2003.750 note J.-P. Karila), 13 novembre 2003 (Cass. 3e civ., 13 novembre 2003, no 01-02.428, Bull. civ. III no 193, RGDA 2004.132, note A. d’Hauteville, Rép. Defrénois, 2004, p. 453, chron. H. Périnet-Marquet), 3 février 2004 (Cass. 3e civ., 3 février 2004, no 01-17.825) et 18 février 2004 (Cass. 3e civ., 18 février 2004, no 02-18.414, Bull. civ. III no 30, RGDA 2004.471, note J.-P. Karila) que le juge doit respecter la volonté des parties lorsque celles-ci ont défini dans le contrat d’assurance l’ouverture de chantier comme étant la DROC, solution conduisant à subordonner l’existence de l’assurance à une date de DROC postérieure ou concomitante à la date d’effet du contrat, tandis que si les parties sont restées silencieuses sur la définition de la notion d’ouverture de chantier, le Juge doit considérer, à titre supplétif de la volonté des parties, que la notion d’ouverture de chantier s’entend comme le commencement effectif des travaux confiés à l’assuré.

3. La police d’assurance concernée définissait la notion d’ouverture de chantier comme « la première intervention de l’un quelconque des entrepreneurs, y compris celui chargé de la démolition, sur le terrain ou sur l’existant objet de l’opération de construction, ou l’acte visé par les directives ministérielles par lequel le maître de l’ouvrage informe la collectivité territoriale concernée si cet acte est antérieur à la première intervention ».

Étant précisé que, dans les circonstances de l’espèce, l’assuré avait été investi d’une mission de maîtrise d’oeuvre complète dans le cadre de laquelle il avait commencé à exécuter ses prestations de conception avant la résiliation du contrat d’assurance à effet du 31 décembre 1997, tandis que la première intervention sur le chantier d’un entrepreneur s’était située en février 1998, aucune DROC n’ayant été effectuée semble-t-il.

La Cour de Dijon, objet de la cassation de l’arrêt rapporté, avait dit l’assureur bien fondé dans son refus de garantie et prononcé en conséquence sa mise hors de cause en s’appuyant sur la définition précitée que le contrat d’assurance avait donné de la notion également précitée d’ouverture de chantier retenant en la circonstance, et en l’absence de toute DROC, la date de première intervention d’un entrepreneur, laquelle était postérieure à la résiliation du contrat d’assurance.

4. Aux termes d’un moyen unique de cassation, il était reproché à la Cour de Dijon :

– la violation des articles L. 241-1 et A. 243-1 du Code des assurances au motif notamment que l’assuré étant un bureau d’études chargé d’une mission complète de maîtrise d’oeuvre, le commencement effectif des travaux coïncidait nécessairement avec les études de conception de l’ouvrage, réalisés avant la résiliation du contrat d’assurance (première branche) ;

– la violation des articles 1131 et 1134 du Code civil aux motifs que le contrat d’assurance ne pouvait faire débuter la durée de la garantie à la date de la première intervention de l’un quelconque des entrepreneurs sur le terrain et exclure ainsi l’activité de conception antérieure de l’architecte ou du bureau d’études sauf à priver le contrat de cause d’une part (deuxième branche), et que le versement des primes pour la période se situant entre la prise d’effet du contrat d’assurance et son expiration a pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent leur origine dans un fait qui s’est produit pendant cette période, le fait dommageable résultant de l’intervention de l’assuré (travaux de conception) à une période où celui-ci était couvert par la garantie de l’assureur d’autre part (troisième branche).

5. La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour de Dijon au visa des seuls articles L. 241-1 et A. 243-1 du Code des assurances, négligeant les dispositions du Code civil dont la violation était prétendue aux termes des deuxième et troisième branches du moyen unique de cassation.

La Cassation est prononcée au considérant ci-après rapporté :

« Qu’en statuant ainsi, alors que la notion d’ouverture de chantier s’entend comme désignant le commencement effectif des travaux confiés à l’assuré, la Cour d’appel, qui avait constaté que le contrat confiant la maîtrise d’oeuvre complète de l’opération de construction à la Société Archimen, était du 13 octobre 1997, a violé les textes susvisés ».

La solution laisse perplexe en ce sens que serait érigé en véritable principe le fait que la notion d’ouverture de chantier s’entendrait nécessairement comme le commencement effectif des travaux confiés à l’assuré, sans considération de ce que les parties ont pu s’accorder sur le contenu de cette notion dans le contrat d’assurance les liant, l’absence de toute référence à l’argumentation soutenue dans la deuxième branche et la troisième branche du moyen unique de cassation étant significative à cet égard.

La solution peut néanmoins se justifier dans la mesure où la définition contractuelle qui avait été donnée pouvait être considérée comme totalement inadaptée à la situation d’un maître d’oeuvre dont les travaux sont totalement indépendants de l’exécution matérielle de l’ouvrage lorsque le maître d’oeuvre est investi d’une mission complète et que ses propres travaux se situent nécessairement en amont de toute exécution sur le chantier de prestations d’ordre matériel.

Le fait que l’arrêt rapporté ne soit pas destiné à une publication au Bulletin des arrêts des chambres civiles, peut laisser penser qu’il ne constitue pas un revirement de jurisprudence au regard de la position médiane ci-dessus rappelée de la Cour Suprême.

J.-P. Karila

RGDA 2006, p. 957

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