Qualification des désordres futurs (Cass. 3e civ. 31 mars 2005) — Karila

Qualification des désordres futurs (Cass. 3e civ. 31 mars 2005)

Ancien ID : 79

Assurance de responsabilité décennale – Désordre futur – application de l’article 1792 : nécessité pour le Juge de constater que le désordre surviendra dans le délai décennal.

Viole les articles 1792 et 2270 du Code Civil la Cour d’Appel qui, pour condamner un assureur de responsabilité décennale, retient notamment que les désordres devant entraîner à court terme, dans un avenir prévisible, une impropriété de l’ouvrage à la destination, ressortissent à la garantie décennale prévue par l’article 1792 du Code Civil, sans constater que l’atteinte à la destination de l’ouvrage interviendrait avec certitude dans le délai décennal.

Cour de Cassation (3ème Ch. Civ.), 31 mars 2005, Pourvoi n° 03-15766, Bulletin 2005 III N° 77 p. 69

Ste Hunter Douglas c/ Ste Perguy et autres.

La Cour.

« Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 14 avril 2003) rendu sur renvoi après cassation (19 février 2002, pourvoi n°00-13.124) que la Société Perguy, assurée en garantie décennale par la Société Mutuelle du Bâtiment et des Travaux Publics (SMABTP), a été chargée par le Syndicat des Copropriétaires de la Résidence Clos Saint Martin (le syndicat) de remplacer les lames verticales en aluminium placées en façade des loggias du groupe d’immeubles, les lames mises en oeuvre ayant été fournies par la Société Béraud Sudreau et fabriquées par la Société Hunter Douglas ; que des désordres ayant été constatés après la réception prononcée en juin 1990, le syndicat a, le 24 juin 1993, assigné en réparation la Société Perguy qui a, par voie reconventionnelle, demandé la garantie de la SMABTP et des Sociétés Béraud Sudreau et Hunter Douglas.

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche, et le moyen unique du pourvoi provoqué de la Société Béraud Sudreau, réunis, en ce qu’ils sont dirigés contre la Société Perguy ».

Sans intérêt.

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche.

Sans intérêt.

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses deux dernières branches, réunies en ce qu’il est dirigé contre la Société Perguy et la Société Béraud Sudreau.

Sans intérêt.

Mais sur le moyen unique du pourvoi provoqué de la SMABTP :

Vu les articles 1792 et 2270 du Code Civil ;

Attendu que pour condamner la SMABTP à garantir la Société Perguy des condamnations prononcées à son encontre au profit du Syndicat des Copropriétaires, l’arrêt retient qu’il résulte des constatations de l’Expert que la corrosion qui atteint les lames va nécessairement à terme entraîner leur destruction, ce qui empêcherait une utilisation des balcons conforme à leur destination, que les désordres devant entraîner à court terme, dans un avenir prévisible, une impropriété de l’ouvrage à la destination ressortissent à la garantie décennale prévue par l’article 1792 du Code Civil ;

Qu’en statuant ainsi, sans constater que l’atteinte à la destination de l’ouvrage interviendrait avec certitude dans le délai décennal, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE… »

Note. 1. A l’instar de ce qui est jugé en droit commun de la responsabilité civile depuis trois arrêts de principe de la chambre des requêtes du 1er juin 1932 (S.1933-1 p.49, note H.Mazeaud ; DP. 1932, 1 p.102, rapp. Pilon) la réparation / indemnisation d’un dommage futur est possible, si ledit dommage « apparaît aux Juges du fait comme la prolongation certaine et directe d’un état de chose actuel et comme étant susceptible d’évaluation immédiate », la jurisprudence admet la réparation / indemnisation du désordre futur dans le cadre de la responsabilité spécifique des constructeurs régie par l’article 1792 du Code Civil, depuis maintenant plusieurs décennies (voir notamment Cass. 3ème civ. 3 décembre 1985, Bull. civ. III n°159 qui énonce que « la garantie décennale couvre les conséquences futures des désordres dont la réparation a été demandée au cours de la période de garantie »).

2. Il convient néanmoins de préciser que les conditions de cette admissibilité ont varié dans le temps, la jurisprudence étant fluctuante et incertaine jusqu’à deux arrêts remarqués, l’un du 19 juin 1996 (Cass. 3ème civ. 19 juin 1996, Bull. civ. III n°230), l’autre du 6 mai 1998 (Cass. 3ème civ. 6 mai 1998, pourvoi n°96.18.298, RDI 1998, p.375, obs. Ph. Malinvaud) desquels il est résulté soit implicitement soit expressément que la réparation / indemnisation du désordre futur suppose qu’au moment où le Juge statue, le délai d’épreuve de la garantie décennale ne soit évidemment pas déjà expiré et que les circonstances de l’espèce lui permettent d’affirmer que ledit désordre se produira de façon certaine à l’intérieur du délai d’épreuve de dix ans de la garantie décennale.

3. La solution a été à nouveau affirmée de façon éclatante :

? D’abord dans un arrêt inédit du 16 juin 2001 (Cass. 3ème civ. 16 juin 2001, inédit titré, pourvoi n°97-17.407) qui casse un arrêt d’une Cour d’appel qui avait retenu l’application de la garantie décennale à propos de « malfaçons affectant l’isolation thermique » au prétexte qu’elles étaient susceptibles de rendre à long terme l’immeuble impropre à sa destination, alors « qu’en statuant ainsi, sans rechercher si l’impropriété à destination s’était manifestée dans le délai décennal, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » au regard de l’article 1792 du Code Civil.

Puis encore plus en 2003, dans deux arrêts importants du 21 janvier 2003 (Cass. 3ème civ. 29 janvier 2003, Bull. civ. III n°18 ; JCP Ed. Gén. 2003, II, 10077, conclusions Avo.Gen. Olivier Guerin), arrêts de rejet qui valident des décisions de Cour d’appel qui avait, pour admettre la réparation / indemnisation de désordres, soit non actuels soit actuels, mais ne revêtant pas d’ores et déjà la gravité du désordre décennal, relevé que le désordre présenterait la gravité nécessaire « assurément dans le délai de la garantie décennale » (arrêt n°1) ou encore « à brève échéance et en tous cas avant l’expiration de la garantie décennale » (arrêt n°2).

? Un arrêt du 16 décembre 2003 (Cass. 3ème civ. 16 décembre 2003, inédit titré, pourvoi n°00-21282) qui casse un arrêt d’une Cour d’appel qui avait admis la réparation / indemnisation du désordre au prétexte que « l’Expert précise qu’il s’agit de désordres évolutifs ne pouvant qu’entraîner dans un avenir plus ou moins proche l’impropriété des lieux à destination » alors « qu’en statuant ainsi, sans relever que l’atteinte à la destination de l’ouvrage interviendrait avec certitude dans le délai décennal, la Cour d’appel a violé les textes susvisés » (articles 1792 et 2270 du Code Civil).

4. La référence à la notion de désordres évolutifs nous conduit à rappeler qu’il convient de bien faire la distinction entre la notion de désordre évolutif et celle de désordre futur alors même que le désordre futur peut être la conséquence, l’évolution dans le futur de désordres actuels.

Sur cette distinction, le lecteur voudra bien se reporter à la note que l’auteur de la présente note a établie à titre de commentaires d’un arrêt rendu par la Cour Suprême le 16 mai 2001 (Cass. 3ème civ. 16 mai 2001, D. 2002, jur. p. 833, note JP Karila).

5. L’arrêt rapporté s’inscrit dans la droite ligne des arrêts précités de 2003, la Cour Suprême ayant cassé un arrêt de la Cour de Pau qui pour, condamner un assureur de responsabilité décennale à propos de désordres affectant les lames en aluminium placées en façades des loggias d’un groupe d’immeubles, avait retenu notamment « que les désordres devant entraîner à court terme, dans un avenir prévisible, une impropriété de l’ouvrage à la destination, ressortissent à la garantie décennale prévue par l’article 1792 du Code Civil » alors « qu’en statuant ainsi, sans constater que l’atteinte à la destination de l’ouvrage interviendrait avec certitude dans le délai décennal, la Cour d’appel a violé les textes susvisés » (article 1792 et 2270 du Code Civil).

Une telle motivation ne peut qu’être approuvée.

6. On signalera enfin que plusieurs semaines après l’arrêt rapporté, la Cour Suprême confirmait (Cass. 3ème civ. 11 mai 2005, inédit, pourvoir n°04-11044) sa volonté qu’au moment où le Juge statue, la garantie décennale ne soit pas déjà expirée (voir 2 ci-dessus), en validant un arrêt d’une Cour d’appel qui avait rejeté l’action d’un Syndicat des Copropriétaires au motif justement que cette condition n’était pas remplie, la validation ayant été motivée au considérant ci-après reproduit :

« Mais attendu qu’ayant retenu que les désordres invoqués par le Syndicat, même s’ils étaient évolutifs, ne rendaient pas l’ouvrage impropre à sa destination, ou ne compromettaient pas sa solidité en octobre 1998, alors que la garantie décennale était expirée depuis 5 ans, la Cour d’appel…. en a justement déduit que le premier jugement, par une exacte application de l’article 1792 du Code Civil, avait déclaré que ces désordres ne devaient pas être garantis par la Compagnie GAN ».

RGDA 2005-3 p.666

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