Responsabilité contractuelle et délai décennal (Cass. 3e. civ., 16 mars 2005) — Karila

Responsabilité contractuelle et délai décennal (Cass. 3e. civ., 16 mars 2005)

Ancien ID : 78

ASSURANCE DE RESPONSABILITE CIVILE – Responsabilité contractuelle de droit commun – prescription : 10 ans à compter de la réception des travaux pour tout manquement aux obligations contractuelles.

C’est à bon droit qu’une Cour d’appel déclare irrecevable l’action, engagée par le maître d’ouvrage à l’encontre d’un architecte,sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, plus de 10 ans après la réception des travaux dès lors que la faute reprochée n’est pas extérieure à la mission de maîtrise d’?uvre conférée audit architecte dans le cadre de l’opération de construction.

Cour de Cassation (3ème Ch. Civ.), 16 mars 2005, n° 04-12950Bulletin 2005 III N° 65 p. 59

SCI Les Trois Roses et autres c/ Mr JP Labbé

La Cour.

Sur le moyen unique:

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 8janvier 2004), que les sociétés civiles immobilières Les Trois roses et Les Quatre rases (SCI) ont fait construire un groupe d’immeubles sous la maîtrise d’oeuvre de M. Labbé, architecte ; que la réception s’est échelonnée du 3 avril 1973 au 3 avril 1974 ; qu’à la suite de désordres, l’arrêt de la cour d’appel du 5 octobre 1993 a condamné les SCI à les réparer et les intervenants à les garantir; que les SCI n’ont pu recouvrer le montant de la condamnation mise à la charge de la société Sabo, entrepreneur, en raison de sa liquidation judiciaire et de son absence d’assurance; que les SCI ont assigné l’architecte en responsabilité pour n’avoir pas exigé lors de l’exécution des travaux, la production d’un certificat d’assurance emanant d’une compagnie couvrant la garantie decennale de l’entreprise Sabo,

Attendu que les SCI font grief à l’arrêt de dire que leur action est irrecevable comme prescrite, alors, selon le moyen:

1°) que l’action en responsabilité contractuelle de droit commun dirigée à l’encontre de l’architecte en vue d’obtenir la réparation d’un préjudice subi par le maître d’ouvrage en raison d’un manquement de l’architecte à son obligation de s’assurer qu’une entreprise intervenant à la construction avait souscrit une assurance responsabilité est soumise à une prescription trentenaire ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 2262 du Code Civil ;

2°) qu’en toute hypothèse, la cour d’appel a constaté qu’après la réception des travaux entre le 3 avril 1973 et le 3 avril 1974, un jugement rendu le 23 septembre 1986, confirmé par un arrêt de la cour d’appel du 5 octobre 1993, avait condamné les SCI à réparer les désordres et condamné les intervenants à les garantir; qu’en déclarant prescrite l’action en responsabilité contractuelle de droit commun des SCI à l’encontre de l’architecte, lequel était partie à la procédure ayant donné lieu aux décisions susvisées pour y avoir été appelé en garantie par les SCI, au motif que cette action avait été engagée plus de dix ans après la réception des travaux, sans rechercher si la prescription n’avait pas été interrompue par l’action en garantie décennale engagée précédemment à l’encontre de l’architecte, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 2244 du Code civil;

Mais attendu, d’une part, que les SCI n’ont pas soutenu, devant les juges du fond, que la prescription aurait été interrompue par la précédente procédure;

Attendu, d’autre part, qu’ayant constaté que la réception s’était échelonnée entre le 3 avril 1973 et le 3 avril 1974, que, par arrêt du 5 octobre 1993, les SCI avaient été condamnées à réparer les désordres de construction et que l’action en responsabilité de l’architecte engagée par les SCI l’avait été le 11 avril 2000, la cour d’appel a retenu, à bon droit, que cette action était irrecevable comme prescrite, la faute reprochée par les SCI à l’encontre de l’architecte n’étant pas extérieure à la mission complète de maîtrise d’oeuvre confiée à celui-ci dans le cadre de l’opération de construction

D’où il suit que, pour partie irrecevable, le moyen n’est pas fondé pour le surplus;

PAR CES MOTIFS:

REJETTE le pourvoi;

Note. 1. L’arrêt rapporté s’inscrit dans la droite ligne des arrêts de principe rendus le 16 octobre 2002 qui avaient déjà énoncé que l’action en responsabilité contractuelle contre les constructeurs se prescrit, quant aux désordres pouvant affecter l’ouvrage, par dix ans à compter de la réception avec ou sans réserves.

2. On rappellera ici que :

-* l’arrêt n°1 du 16 octobre 2002 (Arrêt Grobost) avait énoncé que la « Cour d’appel a, à bon droit, retenu que la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur pour manquement au devoir de conseil ne pouvait être invoquée quant aux désordres affectant l’ouvrage au-delà de 10 ans à compter de la réception » ;

-* tandis que l’arrêt n°2 (Arrêt Maisons Bottemer) avait quant à lui énoncé notamment, dans un attendu de principe, que « l’action en responsabilité contractuelle contre les constructeurs se prescrit par dix ans à compter de la réception avec ou sans réserves ».

3. L’arrêt rapporté valide un arrêt de la Cour d’Aix-en-Provence en énonçant que celle-ci avait « retenu, à bon droit », que l’action du maître d’ouvrage était « irrecevable comme prescrite, la faute reprochée par la SCI [maître d’ouvrage] à l’encontre de l’architecte n’étant pas extérieure à la mission complète de maîtrise d’?uvre confiée à celui-ci dans le cadre de l’opération de construction ».

L’arrêt rapporté réaffirme donc la règle – purement prétorienne – de la prescription abrégée qui est ainsi susceptible d’application non seulement lorsque l’action en responsabilité contractuelle de droit commun tend directement à la réparation / indemnisation des désordres affectant l’ouvrage ou lorsque cette finalité n’est qu’indirecte ou encore lorsque l’indemnité requise n’est pas strictement étrangère à la réparation / indemnisation des désordres dont s’agit.

L’arrêt précité Grobost avait été rendu comme évoqué ci-dessus à propos de l’inexécution et/ou de la mauvaise exécution d’une obligation de conseil rattachée à des désordres de construction ; l’arrêt rapporté nous enseigne que le domaine de la prescription abrégée peut s’étendre également à d’autres manquements contractuels du constructeur dès lors que lesdits manquements ne sont pas extérieurs à la mission confiée au constructeur concerné, en l’espèce s’agissant d’un architecte, à la mission de maîtrise d’oeuvre complète confiée à celui-ci dans le cadre de l’opération de construction.

Désormais, on peut donc affirmer que tout manquement aux obligations contractuelles du constructeur pouvant se rattacher même très indirectement à la réparation / indemnisation de désordres affectant l’ouvrage, bénéficie de la prescription abrégée de dix ans dès lors que ledit manquement ne serait pas extérieur à la mission confiée au constructeur.

Bien évidemment, ne sont pas concernées par ladite prescription abrégée, la sanction d’obligations totalement indépendantes de la réception de l’ouvrage ou encore celles n’induisant aucun désordre matériel à l’ouvrage comme les non conformités contractuelles n’entraînant aucun dommage à l’ouvrage.

4. L’oeuvre d’uniformisation de la 3ème chambre civile se poursuit donc de façon heureuse et harmonieuse dans l’esprit de ce qu’elle avait elle-même appelé de ses voeux dans le cadre des suggestions de modifications législatives qu’elle avait proposées dans son rapport annuel pour l’année 2001, le lecteur pouvant se reporter à cet égard à l’étude que nous avions consacrée à cette importante question ensuite des deux arrêts précités du 16 octobre 2002 (JP Karila « Vers l’uniformisation de tous les délais d’action des différentes responsabilités des constructeurs d’ouvrage immobilières », JCP Ed. Not. Imm. 2004, p. 1160 et s).

RGDA 2005-3 p.663

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