Le copropriétaire qui justifie d’un préjudice découlant des désordres de construction affectant les parties communes et portant atteinte à la jouissance des parties privatives des lots lui appartenant a, en application de l’article 15, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965, qualité pour agir à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage (Cass. 3e civ. 3 mars 2010) — Karila

Le copropriétaire qui justifie d’un préjudice découlant des désordres de construction affectant les parties communes et portant atteinte à la jouissance des parties privatives des lots lui appartenant a, en application de l’article 15, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965, qualité pour agir à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage (Cass. 3e civ. 3 mars 2010)

Ancien ID : 813

Assurance dommages ouvrage

1o Immeuble en copropriété. Qualité à agir contre l’assureur. Maître d’ouvrage vendeur/copropriétaire (oui). 2o Garantie décennale. Absence de dommages matériels. Risque pour la sécurité physique des utilisateurs. Impropriété à destination (oui).

1°/ Une cour d’appel retient à bon droit que demeurée après la vente et la mise en copropriété de l’immeuble, propriétaire de l’intégralité de certains appartements et des parkings correspondants et justifiant d’un préjudice découlant d’un désordre affectant les parties communes et portant atteinte à la jouissance des parties privatives des lots lui appartenant, le maître d’ouvrage vendeur avait, en sa qualité de copropriétaire et en application de l’article 15, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965, qualité pour agir à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage.

2°/ Ne donne pas de base légale à sa décision, au regard des articles 1792 du Code civil et L. 242.1 du Code des assurances, la cour d’appel qui, pour débouter le maître d’ouvrage vendeur et copropriétaire de sa demande formée à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage au titre de la largeur insuffisante du passage piéton le long de la porte basculante du garage, retient que l’assureur est fondé à faire valoir qu’il n’a pas à garantir le financement des réparations nécessaires pour mettre un terme à ce désordre qui ne saurait relever des dispositions des articles 1792 du Code civil et L. 242-1 du Code des assurances, alors qu’elle avait constaté que la largeur insuffisante du passage piéton le long de la porte du garage s’avérait dangereuse pour les utilisateurs, et n’a pas recherché, comme il lui était demandé, si ce désordre ne rendait pas l’ouvrage impropre à sa destination.

Ne donne également pas de base légale à sa décision au regard des textes précités, la cour d’appel qui, pour débouter le maître d’ouvrage vendeur et copropriétaire de sa demande formulée à l’encontre de l’assureur dommage ouvrage, au titre du défaut de report d’alarme de la porte basculante du garage vers la loge du gardien, retient que l’assureur est fondé à faire valoir qu’il n’a pas à garantir le financement des réparations nécessaires pour mettre un terme à ce désordre qui ne saurait relever des dispositions des articles 1792 du Code civil et L. 242-1 du Code des assurances, alors qu’elle avait constaté que le défaut de report d’alarme de la porte basculante vers la loge du gardien s’avérait dangereux pour les utilisateurs, et n’a pas recherché, comme il lui était demandé, si ce désordre ne rendait pas l’ouvrage impropre à sa destination.

Cour de cassation (3e Ch. civ.) 3 mars 2010 Pourvoi no 07-21950, Bull. civ. III, n° 50

Société Espace habitat construction c/ Société AGF devenue Allianz IARD

La Cour,

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Sans intérêt

Sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que la société AGF fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à la société Espace des sommes au titre des faux plafonds des halls d’entrée et de l’affaissement du terrain, et de rejeter ainsi la fin de non-recevoir soulevée par elle tirée du défaut de qualité à agir de la société Espace, alors, selon le moyen, que l’assurance dommages ouvrage est une assurance de chose qui bénéficie au maître de l’ouvrage et se transmet avec la propriété de ce dernier ; que la cour d’appel a constaté que la résidence Le Colisée était soumise au statut de la copropriété, ce dont il résulte que seul le syndicat des copropriétaires pouvait revendiquer le bénéfice de l’assurance dommages-ouvrage, peu important que la société Espace habitat construction, maître de l’ouvrage, ait conservé la propriété d’une partie des logements et parkings et qu’elle ait justifié d’une atteinte à ses parties privatives en raison des désordres affectant les parties communes ; qu’ainsi la cour d’appel, qui a statué par des motifs inopérants, n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l’article L. 242-1 du Code des assurances ;

Mais attendu que la cour d’appel a retenu à bon droit que, demeurée, après la vente et la mise en copropriété de l’immeuble, propriétaire de l’intégralité des 51 appartements situés dans les cages d’escalier no 4 à 7 et des parkings correspondants et justifiant d’un préjudice découlant des désordres affectant les parties communes et portant atteinte à la jouissance des parties privatives des lots lui appartenant, la société Espace avait, en application de l’article 15, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965, qualité pour agir à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche :

Vu l’article 1792 du Code civil, ensemble l’article L. 242-1 du Code des assurances ;

Attendu que pour débouter la société Espace de sa demande formée à l’encontre de la société AGF au titre de la largeur insuffisante du passage piéton le long de la porte basculante du garage, l’arrêt retient que l’assureur dommages-ouvrage est fondé à faire valoir qu’il n’a pas à garantir le financement des réparations nécessaires pour mettre un terme à ce désordre qui ne saurait relever des dispositions des articles 1792 du Code civil et L. 242-1 du Code des assurances ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la largeur insuffisante du passage piéton le long de la porte basculante du garage s’avérait dangereuse pour les utilisateurs, la cour d’appel, qui n’a pas recherché, comme il le lui était demandé, si ce désordre ne rendait pas l’ouvrage impropre à sa destination, n’a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;

Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche :

Vu l’article 1792 du Code civil, ensemble l’article L. 242-1 du Code des assurances ;

Attendu que pour débouter la société Espace de sa demande formée à l’encontre de la société AGF au titre du défaut de report d’alarme de la porte basculante du garage vers la loge du gardien, l’arrêt retient que l’assureur dommages-ouvrage est fondé à faire valoir qu’il n’a pas à garantir le financement des réparations nécessaires pour mettre un terme à ce désordre qui ne saurait relever des dispositions des articles 1792 du Code civil et L. 242-1 du Code des assurances ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le défaut de report d’alarme de la porte basculante vers la loge du gardien s’avérait dangereux pour les utilisateurs, la cour d’appel, qui n’a pas recherché, comme il le lui était demandé, si ce désordre ne rendait pas l’ouvrage impropre à sa destination, n’a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;

Par ces motifs :

Casse et annule, mais seulement en ce qu’il rejette les demandes de la société Espace du syndicat dirigées contre la société AGF, devenue la société Allianz IARD, relatives au paiement de la société Espace des sommes de 8 236,67 euros au titre de l’insuffisance de passage piéton le long de la porte basculante d’accès au garage, et de 272,12 euros au titre du défaut de report d’alarme de la porte basculante d’accès au garage à la loge du gardien, l’arrêt rendu le 8 octobre 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ;

Note

1. L’arrêt rapporté (à paraître au Bulletin) qui valide le moyen unique du pourvoi incident d’une part mais casse pour défaut de base légale au regard des dispositions des articles 1792 du Code civil et de l’article L. 242-1 du Code des assurances permet :

– de rappeler/d’identifier le ou les bénéficiaires de l’indemnité due par l’assureur dommages ouvrage lorsque l’immeuble concerné par les dommages est soumis au statut de la copropriété d’une part ;

– et de rappeler, au-delà de la lettre de l’article 1792 du Code civil, les conditions d’application de ce texte d’autre part.

I. L’immeuble en copropriété : la détermination des personnes ayant qualité pour agir à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage

2. On sait que l’assurance dommages ouvrage est une assurance de choses, transmise aux acquéreurs successifs de l’ouvrage, le lecteur étant invité à se reporter à cet égard à l’abondante jurisprudence citée dans le chapitre que nous avons consacré à l’assurance dommages ouvrage dans Lamy assurances (J.-P. Karila, Lamy assurances 2010, ch. Assurance des dommages à l’ouvrage, no 3190), sauf à rappeler ici les arrêts les plus récents concernant cette transmissibilité savoir :

– Cass. 3e civ., 20 oct. 2004 – no 03-13159 – Bull. civ. III, no 173 ;

– Cass. 3e civ., 4 déc. 2007 – no 06-18783.

Étant rappelé en outre :

– qu’en cas d’inaction du propriétaire de l’ouvrage, un souscripteur vendeur peut revendiquer la mise en œuvre de l’assurance Dommages Ouvrage au profit dudit propriétaire (Cass. 1re civ., 23 juin 1992 – no 90-19913 – RGAT 1992, p. 562, note J. Bigot) ;

– qu’avant la réception de l’ouvrage seul le souscripteur maître d’ouvrage ayant, le plus souvent la qualité de vendeur de l’immeuble à construire, a qualité pour déclarer le sinistre à l’assureur et percevoir l’indemnité d’assurance destinée aux réparations qui s’imposent (Cass. 3e civ., 16 déc. 2009 – no 09-65697 – RGDA 2010, p. 95, note M. Périer).

3. L’immeuble concerné par les dommages à l’ouvrage, survenus après la réception de celui-ci, étant soumis au statut de la copropriété, se posait dès lors la question de savoir qui avait qualité pour déclarer le sinistre et percevoir l’indemnité d’assurance : le Syndicat des Copropriétaires représenté par son syndic ou le ou les copropriétaires agissant à titre individuel 

La réponse qui est donnée par l’arrêt rapporté à cette question est conforme à ce qui est jugé depuis plusieurs décennies en matière de copropriété.

On rappellera à cet égard que s’il est admis que seul le Syndicat des Copropriétaires a qualité à agir au titre de la réparation des dommages affectant seulement les parties communes de l’immeuble tandis que seuls les copropriétaires ont qualité à agir pour obtenir la réparation/indemnisation des désordres affectant leurs lots privatifs, il reste que – abstraction ici étant faite de savoir s’il existe ou non un monopole du Syndicat des Copropriétaires dans le cadre du dommage affectant à la fois les parties communes et les parties privatives – la jurisprudence a admis aussi :

– la recevabilité de l’action individuelle des copropriétaires pour la réparation des dommages affectant les parties communes au motif qu’une atteinte aux parties communes de l’immeuble en copropriété, dont chaque lot comprend une quote-part des parties communes et de parties privatives, constitue pour le copropriétaire un préjudice personnel l’autorisant à agir pour la réparation des troubles à la fois collectifs et personnels et ce, alors même que les dommages aux parties communes n’engendreraient pas des dommages aux parties privatives des copropriétaires concernés « une gêne certaine » étant, semble-t-il, suffisante à caractériser l’intérêt personnel à agir, l’action individuelle des copropriétaires n’ayant aucun caractère subsidiaire par rapport à celle du Syndicat, et n’étant pas en conséquence subordonnée à la justification d’un vote négatif d’une assemblée générale ni au refus du syndicat à agir ;

– la recevabilité de l’action du syndicat pour la réparation du dommage affectant à la fois les parties communes et les parties privatives, et plus particulièrement lorsque les désordres privatifs sont la conséquence de ceux qui vicient les parties communes ou ne peuvent être dissociés de celles-ci ;

– la recevabilité de l’action du Syndicat pour la réparation des dommages affectant les seules parties privatives dès lors qu’ils auraient un caractère collectif.

(voir sur cette question : J.-P. Karila, Les responsabilités des constructeurs Delmas, 2e  édition, 1992, p. 248 à 250 ; L. Karila et C. Charbonneau, Droit de la construction : Responsabilités et assurances, Litec, 2007, no 210 à 218).

4. Aux termes du moyen unique du pourvoi incident formé par l’assureur dommages ouvrage, celui-ci reprochait à la Cour de Versailles d’avoir accueilli l’action d’un copropriétaire (en la circonstance il s’agissait du maître d’ouvrage vendeur qui avait conservé certains lots de copropriété) alors que l’immeuble étant soumis au statut de la copropriété il en résultait, selon lui, que seul le Syndicat des Copropriétaires pouvait revendiquer le bénéfice de l’assurance dommages ouvrage, peu important que le maître d’ouvrage vendeur de l’immeuble ait conservé la propriété d’une partie des logements et parkings correspondants et qu’il ait justifié d’une atteinte à ses parties privatives, en raison des désordres affectant les parties communes.

La Haute Juridiction rejette pertinemment le moyen en raison de ce que la cour d’appel avait «  retenu à bon droit  » que, demeuré, après la vente et la mise en copropriété de l’immeuble, propriétaire d’un certain nombre d’appartements et des parkings correspondants et justifiant d’un préjudice découlant des désordres affectant les parties communes et portant atteinte à la jouissance des parties privatives des lots lui appartenant, ledit maître d’ouvrage/copropriétaire avait, en application de l’article 15 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965, qualité pour agir à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage.

II. Domaine d’application de l’article 1792 du Code civil : dommages matériels à l’ouvrage mais aussi, nonobstant l’absence de dommages matériels, risque pour la sécurité physique des utilisateurs de l’ouvrage.

5. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles 1792 et 1792-2 du Code civil que la garantie décennale a vocation à s’appliquer dans trois hypothèses, savoir :

– lorsque les dommages compromettent la solidité de l’ouvrage (art., 1792 C. civ.),

– lorsque les dommages, affectant l’un des éléments constitutifs de l’ouvrage ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination (art., 1792 C. civ.),

– lorsque les dommages affectent la solidité d’un élément d’équipement indissociable, d’un ouvrage de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert (art., 1792-2 C. civ.).

Mais à ces trois hypothèses résultant de la lettre des textes précités, la jurisprudence y a ajouté, depuis des décennies, notamment une quatrième hypothèse retenant l’application de la garantie décennale, en l’absence même de dommages matériels à l’ouvrage ou à ses éléments d’équipement, dès lors qu’était avéré un risque pour la sécurité des utilisateurs de l’ouvrage ou des passants (Lamy assurances 2010, ch. Assurance de responsabilité décennale par J.-P. Karila, no 3380).

6. La Cour de Versailles avait négligé cette quatrième hypothèse et débouté le maître d’ouvrage vendeur de sa demande au titre de la largeur insuffisante du passage piéton le long de la porte basculante du garage d’une part, comme au titre du défaut de report d’alarme de ladite porte basculante dudit garage vers la loge du gardien d’autre part, retenant que l’assureur dommages ouvrage était fondé, dans ces deux hypothèses, à faire valoir qu’il n’avait pas à garantir le financement des réparations nécessaires pour mettre un terme à ces désordres qui ne sauraient , selon la Cour précitée qui avait adopté l’argumentation dudit assureur à cet égard, relever des dispositions des articles 1792 du Code civil et de l’article L. 242-1 du Code des assurances.

7. La cassation s’imposait d’évidence puisqu’aussi bien dans les deux hypothèses (largeur insuffisante du passage piéton et défaut de report d’alarme) la Cour d’appel avait constaté le caractère dangereux pour les utilisateurs desdits inconvénients/désordres.

C’est donc à juste titre et de façon pertinente que la Haute Juridiction a accueilli les deux branches du second moyen du pourvoi principal et censuré la cour de Versailles pour défaut de base légale de sa décision, au regard des dispositions de l’article 1792 du Code civil et de l’article L 242-1 du Code des assurances.

8. L’arrêt rapporté emporte pour les motifs ci-dessus exprimés notre entière approbation tant sur le rejet du moyen unique du pourvoi incident que sur la cassation prononcée en satisfaction du deuxième moyen du pourvoi principal pris en sa première branche d’une part et en sa seconde branche d’autre part.

J.-P. Karila, RGDA n° n° 2010-02, P. 364

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