Le vice caché n’est pas un défaut de conformité : application du bref délai — Karila

Le vice caché n’est pas un défaut de conformité : application du bref délai

Recueil Dalloz 1992 p.95  – Jean-Pierre Karila

Cass. 3eme civ. 10 mai 1990, Cass. Bull. civ. III, n° 116

NOTE

[1] L’arrêt rapporté est clair : il approuve le juge du fond d’avoir refusé toute confusion entre vices cachés et défauts de conformité.

On sait cependant que l’Assemblée plénière y avait elle-même procédé, par deux arrêts du 7 févr. 1986 (1), à l’occasion du conflit qu’elle tranchait alors au profit de la thèse de la première Chambre civile sur la nature de l’action directe du maître de l’ouvrage à l’encontre du fabricant ou vendeur de matériaux intégrés dans une construction, et auquel elle reconnaissait un fondement strictement contractuel, condamnant ainsi la thèse de la troisième Chambre civile qui n’admettait pas, au visa de l’art. 1165 c. civ., qu’une telle action puisse être d’une nature autre que délictuelle.

La troisième Chambre civile s’est évidemment inclinée, le 10 mai 1990 (2).

Mais l’espèce, objet de la décision rapportée, lui a donné l’occasion – tout en respectant formellement la solution de l’Assemblée plénière – d’en limiter, grâce à l’excellente motivation de l’arrêt de la Cour de Versailles critiqué par le pourvoi, rendu sous la présidence de Mme J. Fossereau, les effets et/ou encore plus précisément de refuser que les conséquences admises, dans le cadre de cette solution, soient érigées en règle générale.

En d’autres termes, si l’action du maître de l’ouvrage à l’encontre du fabricant ou vendeur est de nature nécessairement contractuelle, on ne doit pas induire qu’elle est nécessairement et toujours celle relative au manquement de l’obligation de délivrer une chose conforme au contrat, sanctionnée par l’art. 1147 c. civ.

On rappellera ici que les arrêts du 7 févr. 1986 avaient posé la règle et la conséquence ci-dessous rapportées.

« … le maître de l’ouvrage, comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ; il dispose donc à cet effet, contre le fabricant, d’une action contractuelle fondée sur la non-conformité de la chose livrée ».

Si la règle avait été généralement approuvée, ses conséquences dans les circonstances de l’espèce avaient fait l’objet des critiques d’une partie de la doctrine la plus autorisée en ce qu’elles réalisaient la « fusion » ou l’assimilation du vice caché et du défaut de conformité.

  1. P. Malinvaud soulignait notamment « la qualification du défaut de conformité repose ici sur un jeu de mots : dire d’un produit qu’il est non conforme à l’usage auquel il est destiné, c’est retenir qu’il est impropre à cet usage ; mais n’est-ce pas la définition même du vice caché selon l’art. 1641 c. civ. ! Et avancer que les briques ne sont pas conformes au contrat en raison de leur mauvaise fabrication est l’illustration typique du vice caché, non du défaut de conformité », et mettait en évidence les conséquences insoupçonnées et injustifées qu’une telle solution pouvait entraîner dans le domaine de la construction immobilière (3), tandis que M. P. Rémy observait avec humour « on pensait que la courte action contractuelle en garantie des vices cachés chasserait la longue action délictuelle ; c’est la très longue action contractuelle de droit commun qui chasse l’action délictuelle désormais raccourcie (4) : fabricants et maître de l’ouvrage ont joué à qui perd gagne » (5). Quand à M. Bénabent, il semblait se réjouir de ce qu’apparemment « le glas de l’art. 1648 » avait sonné (6).

L’arrêt rapporté est illustration éclatante du caractère infondé de cette affirmation ou prédiction …

Certes on avait noté, avant même les arrêts de l’Assemblée plénière du 7 févr. 1986, les tendances de la jurisprudence notamment en matière mobilière à faire, relativement à la « défaillance » d’un produit ou d’une chose, l’apocope de son vice caché au profit de l’inexécution de l’obligation de délivrance du produit ou de la chose conforme à l’usage auquel on le ou on la destine.

Du moins, la Chambre commerciale et financière de la Cour suprême, puis la première Chambre civile de cette Haute juridiction, avaient-elles été amenées à censurer des décisions des juges du fond qui avaient déclaré irrecevables comme tardives, au sens de l’art. 1648 c. civ., certaines actions sans « rechercher » si le vendeur « n’avait pas engagé sa responsabilité en livrant des fermettes insuffisamment étudiées pour répondre aux conditions d’utilisation résultant de la commande » (7), ou encore « sans rechercher si le vice de conception relevé ne devait pas s’analyser en un manquement du fabricant vendeur à son obligation de livrer une machine conforme à cette destination normale » (8).

La troisième Chambre, quant à elle, avait peut-être pêché dans l’excès inverse en validant une décision des juges du fond qui, saisis d’une demande en nullité pour vice du consentement de la vente d’un terrain qu’un certificat d’urbanisme annexé à l’acte de vente déclarait constructible, et pour lequel l’acquéreur n’avait pu obtenir un permis de construire, avaient retenu que la constructibilité était considérée par l’acquéreur comme une qualité substantielle de la chose, mais que son erreur était la conséquence d’un vice caché rendant la chose impropre à l’usage auquel elle est destinée, avaient déduit « exactement » dit la troisième Chambre, que l’action dudit acquéreur était soumise à la condition du bref délai imposé par l’art. 1648 c. civ. (9).

Cependant, à bien y réfléchir, on peut se demander si cette solution de la troisième Chambre civile est vraiment critiquable dans la mesure où elle constitue un refus de voir reconnaître au profit de l’acquéreur le bénéfice d’un cumul ou d’une option des art. 1641 et 1110 c. civ., cumul et option expressément revendiqués dans le pourvoi.

Ce qui nous semble en tout cas essentiel c’est qu’en présence d’une impropriété de la chose à l’usage auquel elle est destinée, l’on n’induise pas qu’il s’agit indubitablement de la conséquence d’un défaut de conformité alors que les circonstances de l’espèce considérée révèleraient qu’il s’agit de la conséquence d’un vice caché.

Certes, la distinction entre vice caché et défaut de conformité n’est pas toujours aisé à opérer.

Cela explique qu’à la théorie classique et conceptualiste de la distinction posant la règle selon laquelle le défaut de conformité est constitué par la différence entre la chose promise dans le contrat et celle qui est livrée, tandis que le vice est constitué par une altération de la chose « qui la rend impropre à l’usage auquel on la destine » selon la formulation de l’art. 1641 c. civ., se soient opposées un certain nombre de doctrines modernes : notamment la théorie fonctionnaliste qui met l’accent sur l’aspect « fonctionnel » tant du vice que du défaut de conformité et aboutit en conséquence à une conception moniste des obligations du vendeur, conception moniste qui réalise de fait une véritable fusion des notions de vice et de défaut de conformité (10).

La troisième Chambre civile s’est toujours refusée, à juste titre, à franchir cette étape et entend, dès lors que cela est possible, assigner à chacune des actions considérées (pour défaut de conformité ou vice caché) son domaine propre.

L’enjeu de la distinction est évidemment capital dès lors que l’on sait que l’action contractuelle pour défaut de conformité est d’une durée trentenaire, tandis que celle en garantie intentée pour vice caché doit être intentée dans le délai de l’art. 1648, al. 1er, c. civ.

Or, c’est justement pour contourner cet obstacle du bref délai et permettre au maître de l’ouvrage ou à l’acquéreur d’intenter une action postérieurement à l’expiration du bref délai de l’art. 1648, al. 1er, que la jurisprudence a imaginé qu’il pouvait lui être substitué celle pour défaut de conformité dans le délai trentenaire de droit commun.

Cette tentative est manifeste dans les arrêts précités de la Chambre commerciale et financière et de la première Chambre de la Cour suprême.

Les arrêts de l’Assemblée plénière du 7 févr. 1986 en constituent l’éclatante réussite.

D’ailleurs, le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la Cour de Versailles s’appuyait nettement sur la solution retenue par l’Assemblée plénière le 7 févr. 1986 et invitait la troisième Chambre civile à opérer cette « assimilation faite entre vice caché et non-conformité …, le manquement à l’obligation de délivrance », étant ainsi retenu « sans référence à des caractéristiques de la chose dont les parties seraient convenues mais par simple référence à l’usage normal que l’on est en droit d’attendre de celle-ci ».

La troisième Chambre civile s’y est refusée et nous ne pouvons que l’en féliciter.

On ne doit pas qualifier une action au regard des conséquences de fait de cette qualification.

On ne doit pas, en présence d’un dysfonctionnement, ou d’une impropriété de la chose à l’usage auquel on la destine, poser la règle selon laquelle l’action est nécessairement celle que l’on peut engager en cas de nonconformité.

On ne doit pas s’arrêter aux conséquences pour en tirer une règle unique de qualification.

On doit d’abord rechercher les causes et origines de l’impropriété à la destination et – puisqu’il semble que celle-ci soit désormais en toutes matières source de droit – dans le cadre de cette recherche de qualification ne pas tenir compte de la qualification la plus apte à réparer ses conséquences, mais de celle la plus adaptée à ses causes et origines, fût-elle prescrite …

La Cour de Versailles s’était justement et excellemment livrée à cette recherche :

« Considérant que M. Casagrande a acheté directement à la Sté Mardesson les tuiles qui en se délitant furent à l’origine des désordres de la toiture.

« Considérant que le régime juridique de l’action de M. Casagrande (acheteur ou maître d’ouvrage) contre les tuileries fabricant d’origine est le même que celui de l’action dont il dispose contre son vendeur direct, la Sté Mardesson.

« Considérant que ce régime est celui de la responsabilité contractuelle trentenaire de droit commun s’il s’agit soit uniquement d’une non-conformité au contrat (telle une qualité de tuile différente de la commande) soit d’une nonconformité au contrat à laquelle s’ajoute l’impropriété à l’usage auquel le matériau était contractuellement destiné (telle une qualité de tuile à la fois non conforme à la commande et non adaptée à la construction envisagée) (Cass., Ass. plén., 7 févr. 1986) ;

« Considérant que, sauf à transgresser ou à supprimer les règles de l’art. 1648 c. civ. (et confondre vice caché de fabrication et défaut de conformité au contrat) ce régime est celui de l’action à bref délai, lorsqu’il s’agit uniquement d’un vice caché, de fabrication, sans pour autant que le matériau soit autre (en sa nature, ses caractéristiques ou sa catégorie) que celui qui avait été commandé ».

Il était évident, dès lors, que le moyen du pourvoi, strictement inspiré de l’arrêt du 5 nov. 1985, et selon lequel la Cour de Versailles n’aurait pas recherché si le vice de fabrication relevé ne devait pas s’analyser en un manquement du fabricant et du vendeur à leur obligation de délivrer des tuiles conformes à leur destination normale, ne pouvait prospérer (11).

Mots clés :

VENTE * Garantie * Garantie des vices cachés * Non-conformité * Distinction * Bref délai

voir les références citées dans le pdf annexé.

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