Reconnaissance de garantie de l’assureur dommages ouvrage. Interruption à l’égard du constructeur responsable et de son assureur (non). Même assureur (indifférent) (Cass. 3e civ. 11 mars 2009) — Karila

Reconnaissance de garantie de l’assureur dommages ouvrage. Interruption à l’égard du constructeur responsable et de son assureur (non). Même assureur (indifférent) (Cass. 3e civ. 11 mars 2009)

Ancien ID : 699

Assurance construction

Assurance dommages ouvrage

Reconnaissance de garantie de l’assureur dommages ouvrage. Interruption à l’égard du constructeur responsable et de son assureur (non). Même assureur (indifférent).

Une Cour d’appel justifie légalement sa décision en retenant à bon droit que la reconnaissance de garantie d’un assureur de chose ne peut valoir reconnaissance de responsabilité d’un constructeur et par conséquent de garantie de l’assureur de celui-ci, alors même qu’il s’agit du même assureur et que la reconnaissance de garantie portait sur des désordres affectant des ouvrages de même nature.

Cour de cassation (3e Ch. civ.) 11 mars 2009 Pourvoi no 08-10905

Syndicat des Copropriétaires de l’Immeuble Le Gaillac c/ Sté Gan Eurocourtage Iard et Sté Raisin

La Cour,

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 12 novembre 2007), qu’en 1983 et 1984, la société civile immobilière du Raisin (SCI) a fait construire deux immeubles formant la copropriété Le Gaillac ; que les travaux ont été réceptionnés le 25 septembre 1984 ; qu’en 1993 et 1994, deux déclarations de sinistre ont été adressées à la société Gan, assureur dommages-ouvrage, pour des désordres affectant les jardinières en béton de trois appartements ; que cet assureur a accepté de garantir deux des trois appartements ; qu’en 2001, le syndicat des copropriétaires ayant invoqué une extension du sinistre à l’ensemble des jardinières, une expertise a été ordonnée ; qu’après dépôt du rapport de l’expert, le syndicat des copropriétaires a assigné la SCI et la société Gan, prise en sa qualité d’assureur de la responsabilité décennale de la SCI, en paiement de la somme de 495 714,54 euros TTC correspondant au coût de réparation des 125 jardinières de la copropriété ;

Attendu que le syndicat des copropriétaires fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable, comme atteinte par la forclusion décennale, son action à l’encontre de la société civile immobilière Le Raisin et de la société Gan Eurocourtage IARD prise en sa qualité d’assureur de cette dernière au titre de la garantie décennale, alors, selon le moyen :

1o / que si, en principe, l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions quoiqu’ayant des causes distinctes, tendent vers un seul et même but ; que l’action visant à obtenir la mise à exécution de la garantie de l’assureur de dommages à l’ouvrage et l’action visant à obtenir la mise à exécution de la garantie de l’assureur du constructeur au titre de la garantie décennale tendant, toutes deux, à obtenir le paiement, de la part du même assureur, des travaux de reprise des désordres, il en résulte que le délai de forclusion de l’article 2270 du Code civil est interrompu par la reconnaissance, par l’assureur de dommages à l’ouvrage, lorsqu’il est également l’assureur du constructeur au titre de la garantie décennale, de ce que sa garantie est due au titre de désordres entrant dans le champ d’application tant dans le champ d’application de la garantie décennale des constructeurs que de celui de l’assurance de dommages à l’ouvrage ; qu’en énonçant le contraire, pour déclarer irrecevable, comme atteinte par la forclusion décennale, l’action du syndicat des copropriétaires de l’immeuble Le Gaillac à l’encontre de la société civile immobilière Le Raisin et de la société Gan Eurocourtage IARD prise en sa qualité d’assureur de cette dernière au titre de la garantie décennale, la cour d’appel a violé les articles 2248 et 2270 du Code civil ;

2o / que le délai de forclusion de l’article 2270 du Code civil est interrompu par la reconnaissance, par l’assureur de dommages à l’ouvrage, lorsqu’il est également l’assureur du constructeur au titre de la garantie décennale, de ce que sa garantie est due, relativement à des désordres entrant tant dans le champ d’application de la garantie décennale des constructeurs que de celui de l’assurance de dommages à l’ouvrage, au titre de l’assurance de dommages à l’ouvrage, lorsque l’assureur a refusé sa garantie, au titre de l’assurance de la garantie décennale du constructeur, pour des motifs qui étaient, sans raison objective légitime, en contradiction avec la reconnaissance, par cet assureur, de sa garantie était due au titre de l’assurance de dommages à l’ouvrage ; qu’en énonçant, dès lors, pour déclarer irrecevable, comme atteinte par la forclusion décennale, l’action du syndicat des copropriétaires de l’immeuble Le Gaillac à l’encontre de la société civile immobilière Le Raisin et de la société Gan Eurocourtage IARD prise en sa qualité d’assureur de cette dernière au titre de la garantie décennale, que la reconnaissance qu’avait faite, le 18 mars 1994, la société Gan assurances, aux droits de laquelle vient la société Gan Eurocourtage IARD, de ce que sa garantie était due, relativement à des désordres identiques aux désordres litigieux, au titre de l’assurance de dommages à l’ouvrage, n’avait pas interrompu le délai de forclusion de l’article 2270 du Code civil, quand elle constatait que la société Gan assurances avait refusé sa garantie, au titre de l’assurance de la garantie décennale du constructeur, pour des motifs qui étaient, sans raison objective légitime, en contradiction avec la reconnaissance qu’elle avait faite le 18 mars 1994, la cour d’appel a violé les articles 2248 et 2270 du Code civil ;

3o / que, enfin et en tout état de cause, des désordres nouveaux constatés au-delà de l’expiration du délai décennal peuvent être réparés au titre de l’article 1792 du Code civil s’ils trouvent leur siège dans l’ouvrage où un désordre de même nature a été constaté et s’ils ont été dénoncés à l’assureur du constructeur au titre de la garantie décennale avant l’expiration de ce délai ; qu’en retenant, après avoir relevé que des désordres, relatifs à trois des appartements des bâtiments construits par la SCI Le Raisin, avaient été constatés et dénoncés à la société Gan assurances avant l’expiration du délai de dix ans à compter de la réception, qu’aucune cause d’interruption du délai de forclusion de l’article 2270 du Code civil n’était intervenue dans le délai de dix ans à compter de la réception, sans rechercher si, comme elle y était invitée par le syndicat des copropriétaires de l’immeuble Le Gaillac, les désordres litigieux ne pouvaient être regardés comme trouvant leur siège dans le même ouvrage que les désordres constatés et dénoncés avant l’expiration du délai de dix ans à compter de la réception et comme étant de même nature que ceux-ci, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 1792 et 2270 du Code civil ;

Mais attendu qu’ayant retenu, à bon droit, que la reconnaissance de garantie de l’assureur dommages-ouvrage, dans le cadre d’une assurance de chose, ne peut valoir reconnaissance de responsabilité d’un constructeur et relevé qu’en 1993 et 1994 deux déclarations de sinistre avaient été adressées à la société Gan, assureur dommages-ouvrage, pour des désordres affectant les jardinières en béton de trois appartements et que deux des appartements concernés sur trois avaient été pris en garantie, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ;

Par ces motifs ;

Rejette le pourvoi.

Note

1. L’arrêt rapporté peut surprendre par la brièveté de sa motivation mais celle-ci, exempte de toute critique, est pertinente en droit et parfaitement justifiée en fait.

2. La 3e Chambre civile valide, par l’arrêt rapporté, une décision parfaitement motivée de la Cour de Toulouse à laquelle un Syndicat des copropriétaires faisait reproche aux termes d’un moyen unique de pourvoi, comportant trois branches :

– d’avoir violé les articles 2248 et 2270 du Code civil pour avoir déclaré atteinte par la forclusion décennale son action tendant à la garantie d’un assureur de responsabilité décennale, alors que ce même assureur en sa qualité d’assureur Dommages Ouvrage de l’opération de construction concernée avait, à cette occasion, reconnu sa garantie, et que l’action tendant à obtenir la mise à exécution de la garantie de l’assureur Dommages Ouvrage et celle visant à obtenir du même assureur, en vertu d’une assurance de responsabilité d’un constructeur, tendaient toutes deux à obtenir dudit assureur le paiement des travaux de réparation des désordres de nature décennale (première branche) ;

– d’avoir encore violé les textes précités pour avoir méconnu/ignoré la contradiction existant entre la reconnaissance de garantie de l’assureur en sa qualité d’assureur dommages ouvrage, avec le refus de garantie dudit assureur, cette fois en sa qualité d’assureur de responsabilité décennale et ce à propos des mêmes désordres (deuxième branche) ;

– d’avoir privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 1792 et 2270 du Code civil, pour n’avoir pas recherché comme elle y était invitée, si les désordres litigieux ne pourraient « être regardés », c’est-à-dire considérés, comme « trouvant », c’est-à-dire comme « ayant », leur siège dans le même ouvrage que les désordres constatés/dénoncés avant l’expiration du délai de dix ans à compter de la réception (troisième branche).

3. La 3e Chambre civile rejette le moyen unique, ci-avant exposé, en une seule phrase répondant précisément aux deux premières branches dudit moyen, la réponse à la troisième branche étant « esquivée » par l’affirmation que la Cour d’appel « n’était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes », formule dont on regrettera l’utilisation, à l’occasion excessive, présentant le risque de devenir une formule de style, mais qui était ici justifiée.

4. C’est en tout cas, à juste titre et conformément au droit applicable en la circonstance, qu’a été validée l’idée que la reconnaissance d’un assureur de choses, ne pouvait valoir reconnaissance de responsabilité d’un constructeur et par conséquent reconnaissance de garantie de l’assureur de celui-ci, alors même qu’il s’agirait du même assureur.

5. Le moyen unique du pourvoi incident n’était pourtant pas frontalement/directement, surtout dans sa première branche, contraire au droit positif, ou encore à la tendance que l’on observe chez certains à raisonner de façon globale, sans opérer des distinctions que la raison ou encore que le droit commande et qui aboutit, de facto, à la violation implicite mais certaine de la loi, notamment en certaines de ses dispositions relatives à la prescription des actions.

La Haute Juridiction aurait pu en effet, être tentée, si elle avait été animée du même esprit que celui ci-avant dénoncé, accueillir le pourvoi dans l’esprit de décisions antérieures qui ont, par exemple, admis :

– que l’action engagée sur le fondement du dol est interruptive de l’action fondée ultérieurement sur la garantie décennale (Cass. 3e civ., 22 juillet 1998, no 97-816, inédit) ;

– que l’action engagée sur le fondement de la garantie décennale est interruptive de l’action sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun dès lors que l’objet de la demande est identique (Cass. 3e civ., 26 juin 2002, no 00-21638, Bull. civ. III, no 149) ;

– que « si en principe, l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à l’autre, il en est autrement lorsque deux actions, quoi qu’ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but » (Cass. 3e civ., 22 septembre 2004, no 03-10923, Bull. civ. III, no 152), décision dont le moyen unique du pourvoi s’inspirait très fortement ;

– que toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mission d’expertise ordonnée par une précédente décision, a un effet interruptif de prescription à l’égard de toutes les parties, « y compris à l’égard de celles appelées uniquement à la procédure initiale, et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre au litige ».

Solution réitérée par la 3e Chambre civile elle-même dans un arrêt du 24 février 2009 (Cass. 3e civ., 24 février 2009, no 08-12746 (inédit) reprenant très exactement la même formule, et après que la même 3e Chambre ait dans un arrêt du 21 mai 2008 (Cass. 3e civ., 21 mai 2008, no 07-13561, Bull. civ. 2008, III, no 91 ; RGDA 2008, p. 639, note J.-P. Karila) cassé pour violation de l’article 2244 du Code civil (dans sa rédaction bien évidemment antérieure à celle résultant de la loi du 17 juin 2008), un arrêt d’une cour d’appel qui, pour écarter la fin de non-recevoir de la prescription de l’action fondée sur la responsabilité des constructeurs, avait retenu que lorsque l’assignation en désignation d’expert et l’action tendant à faire déclarer la mesure commune à d’autres constructeurs émanent du maître de l’ouvrage, l’ordonnance de référé déclarant la mesure d’instruction commune, a un effet interruptif de prescription à l’égard de toutes les parties y compris celles appelées à la procédure initiale pour tous les chefs de préjudices procédant du sinistre en litige !…

6. La décision rapportée semble également justifiée en fait, la nature des motifs de la Cour de Toulouse, visés par le moyen unique du pourvoi, permettant de considérer que c’était en fait par erreur que l’assureur dommages ouvrage avait reconnu sa garantie et financé le paiement de travaux de reprise affectant des jardinières de deux appartements, sur la base du rapport de l’expert, qui s’était contenté de décrire le dommage sans expliquer la nature de celui-ci, alors qu’ultérieurement sur l’avis d’un autre expert, qui avait considéré que le dommage était de nature esthétique, l’assureur avait refusé sa garantie pour la jardinière d’un troisième appartement.

Jean-Pierre Karila – RGDA 2009 n° 2, p. 507

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