Responsabilité de l’expert désigné par l’assureur. Appréciation par référence à l’objet de sa mission définie par l’article A.243-1, annexe II, B, 1o, c. (Cass. 3e civ. 15 janvier 2013) — Karila

Responsabilité de l’expert désigné par l’assureur. Appréciation par référence à l’objet de sa mission définie par l’article A.243-1, annexe II, B, 1o, c. (Cass. 3e civ. 15 janvier 2013)

Il ne peut être reproché à l’expert, dont les éventuels manquements doivent s’apprécier au regard de la mission dont l’objet et la finalité sont précisés à l’article A.?243-1, annexe?II, B, 1o, c, d’avoir centré ses investigations sur les parties d’ouvrage qui présentaient les désordres les plus manifestes.

Cour de cassation (3e Ch. civ.) 15 janvier 2013 Pourvoi n°12-11680

Non publié au Bulletin

Époux?Y c/?M.?X

La Cour,

Attendu qu’ayant exactement retenu que les éventuels manquements de l’expert devaient être appréciés au regard de sa mission, laquelle, en matière d’assurance dommages-ouvrage, est limitée à la recherche et au rassemblement des données strictement indispensables à la non-aggravation et à la réparation rapide des dommages garantis et relevé qu’il ne résultait pas des pièces produites que l’affaissement du dallage ait été visible lors de son intervention, la cour d’appel a pu en déduire, sans dénaturation et par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, qu’il ne pouvait pas être reproché à M.?X… d’avoir centré ses investigations sur les murs périphériques extérieurs qui présentaient les désordres les plus manifestes et d’avoir préconisé une reprise de ces murs en sous-œuvre compte tenu de la nature du sous-sol analysé par la société Géotec?;

D’où iI suit que le moyen n’est pas fondé?;

Par ces motifs?:

Rejette le pourvoi.

Note

1.?La responsabilité de l’expert désigné par l’assureur, dans le cadre de la procédure contractuelle d’origine légale et règlementaire est naturellement liée à l’obligation de l’assureur de préfinancer les travaux de réparations pérennes et efficaces des désordres, comme nous l’avions déjà souligné dans le cadre de notre commentaire d’un précédent arrêt sur la question (Cass. 3e?civ., 22?juin 2011, no?10-16308, Bull. civ.?III, no?109, RGDA 2011, p.?23, note J.-P.?Karila).

2.?L’arrêt rapporté valide un arrêt de la Cour de Bordeaux qui avait rejeté l’action des maîtres d’ouvrage tendant justement à voir rechercher la responsabilité de l’expert désigné par l’assureur dommages-ouvrage.

Les maîtres d’ouvrage, demandeurs au pourvoi, reprochaient à la Cour de Bordeaux la violation de l’article 1147 du Code civil, notamment la violation de l’article 1147 du Code civil, ensemble celui de l’article A.?243-1, annexe?II, B, 1o, c du Code des assurances et enfin de l’article?1382 du Code civil…

Étant précisé que tout naturellement la Cour d’Appel avait qualifié l’action des maîtres d’ouvrage d’action délictuelle visant, à cet égard précisément le principe énoncé par l’arrêt de l’Assemblée Plénière du 6?octobre 2006, selon lequel «?le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage?».

3.?Ainsi dans le cadre de l’expertise que les praticiens qualifient d’«?amiable?» ou encore de «?contractuelle?» le «?contrat?» interviendrait entre l’assureur dommages-ouvrage et l’expert désigné par lui, tandis que le bénéficiaire de l’assurance (maître d’ouvrage/propriétaire) serait un tiers à ce contrat.

4.?On peut hésiter sur la qualification juridique qu’il convient d’attribuer aux rapports ci-dessus évoqués de l’assureur dommages-ouvrage, comme des bénéficiaires de l’assurance, avec l’expert désigné par ledit assureur.

On rappellera à cet égard que?la désignation par l’assureur dommages-ouvrage d’un expert, sous contrôle d’ailleurs del’assuré qui peut le récuser, s’inscrit dans le cadre de l’obligation contractuelle pesant sur ledit assureur en vertu d’un texte règlementaire d’ordre public, le contrat d’assurance, en la circonstance, ne faisant que reproduire la clause type établie par le pouvoir règlementaire en vertu d’une habilitation de la loi.

Le contrat d’assurance stipulant l’obligation pour l’assureur de désigner un expert dont la mission est expressément définie dans ledit contrat, ne relevant pas stricto sensu de l’autonomie et de la volonté des parties?mais de la loi et du règlement, on peut s’interroger sur la qualification juridique des rapports «?triangulaires?» ainsi instaurés.

La Haute Juridiction n’a pas encore, à cet égard, défini, semble-t-il, sa doctrine quant à ce, raison sans doute pour laquelle l’arrêt rapporté qui ne comporte au surplus le visa d’aucun texte n’est pas publié au bulletin.

5.?La responsabilité de l’expert désigné par l’assureur est dans tous les cas une responsabilité pour faute prouvée, alors même qu’elle se rattache à l’obligation de résultat de l’assureur de préfinancer des travaux pérennes et efficaces des désordres (voir notamment?: Cass. 3e?civ., 18?décembre 2001, no?99-10519, RGDA 2002, p.?124, note J.-P.?Karila?; Cass. 3e?civ., 7?décembre 2005, no?04-17418, Bull. civ.?III, no?235, RGDA 2006, p.?122, note J.-P.?Karila?; Cass. 3e?civ., 24?mai 2006, no?05-11708, Bull. civ.?III, no?133, RDI 2006, p.?266, obs. P.?Dessuet).

6.?L’appréciation de la faute éventuelle de l’expert doit être opérée naturellement par référence au contenu de sa mission, dont l’arrêt rappelle expressément l’objet, à savoir la recherche et le rassemblement des données strictement indispensables à la non-aggravation et à la réparation rapide des dommages garantis.

Un arrêt de la Cour d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 4?mars 2009, no?07-13572) rendu dans le même esprit que l’arrêt de la Cour de cassation rapporté, souligne que l’expert n’a «?pas à se livrer à un examen général de l’immeuble?», son rôle étant «?strictement limité à la détermination des causes des dommages, objet de la déclaration de sinistre?».

7.?Néanmoins il est évident que s’il est établi que l’inefficacité des travaux préfinancés par l’assureur est due à l’insuffisance de la solution réparatoire suggérée par l’expert, la responsabilité de celui-ci doit être pleinement retenue, abstraction faite de l’éventuelle responsabilité de l’entrepreneur réparateur qui aura accepté de mettre en œuvre une solution réparatoire, dont il pouvait, dans la limite de ses compétences, apprécier l’insuffisance, sans aviser son donneur d’ordre et/ou les maîtres d’ouvrage du risque ainsi couru.

J.-P.?Karila

RGDA n° 2013-03, P. 655

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