Recevabilité de l’action directe à l’encontre de l’assureur après expiration du délai décennal (Cass. 3e civ., 7 juin 2005) — Karila

Recevabilité de l’action directe à l’encontre de l’assureur après expiration du délai décennal (Cass. 3e civ., 7 juin 2005)

Ancien ID : 81

Assurance responsabilité décennale. Prescription. Article L. 114-1 du Code des Assurances. Action contre l’assuré dans le délai décennal. Recevabilité de l’action directe contre l’assureur hors délai décennal et plus de deux ans après la décision de responsabilité de l’assuré (non).

Viole les articles 1792 et 2270 du Code Civil, ensemble l’article L 114-1 du Code des Assurances, la Cour d’appel qui admet la recevabilité de l’action directe du tiers lésé postérieurement à la prescription de la responsabilité de l’assuré d’une part, et plus de deux ans après la décision consacrant la responsabilité de l’assuré d’autre part.

Cour de cassation (3è ch. civ.), 7 juin 2005, n° 04-16814

SMABTP c/ SDC Tour 2000

La Cour,

Sur le premier moyen :

Vu les articles 1792 et 2270 du Code civil, ensemble l’article L. 114-1 du Code des assurances ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 25 mai 2004), que la SCI Tour 2000 a fait édifier deux immeubles en 1973 ; que la société Robin, assurée auprès de la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), a été chargée du lot gros oeuvre ; que la réception est intervenue le 4 novembre 1976 ; qu’en janvier 1982, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble Tour 2000 a fait assigner la société Robin et son assureur à la suite de désordres ; que, par arrêt du 12 septembre 1995, la cour d’appel de Bordeaux a déclaré la société Robin en liquidation judiciaire, responsable sur le fondement des articles 1792 et suivants, et a retenu que la SMABTP n’ayant pas été assignée en première instance, la demande formée à son encontre, en appel, était nouvelle ; que le 30 avril 1999, le syndicat des copropriétaires a assigné la SMABTP sur le fondement de l’action directe prévue à l’article L. 243-7 du Code des assurances afin qu’elle soit tenue de garantir la société Robin ;

Attendu que, pour déclarer recevable l’action du syndicat des copropriétaires, l’arrêt retient que la prescription énoncée à l’article 2270 du Code civil s’applique entre le maître de l’ouvrage et toute personne physique ou morale susceptible de voir sa responsabilité engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du Code civil mais que cette prescription n’a pas cours entre le maître d’ouvrage et l’assureur débiteur de garantie par une action formulée dans le cadre d’un fondement distinct ; qu’il suffit que le débiteur de la garantie ait été actionné dans le cadre du délai de prescription pour que l’assureur soit tenu à garantie ; que la société Robin a été assignée en temps voulu et jugée responsable par arrêt du 12 septembre 1995 si bien qu’il n’est pas possible de se prévaloir de la prescription de la garantie décennale ; qu’en vertu de l’article L. 114-1 du Code des assurances « quand l’action de l’assuré contre l’assureur a pour cause le recours d’un tiers, la prescription biennale ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré » ; qu’en l’espèce, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble Tour 2000 a assigné la société Robin en 1982 et que, depuis lors, la prescription a été interrompue par de multiples procédures ;

Qu’en statuant ainsi, alors que, si l’action de la victime contre l’assureur responsabilité trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice et se prescrit par le même délai que l’action de la victime contre le responsable, cette action ne peut cependant être exercée contre l’assureur que tant que celui-ci est encore exposé à un recours de son assuré, que la prescription n’ayant été interrompue qu’à l’égard de l’assuré par la première procédure et aucune action n’ayant été intentée à l’encontre de l’assureur dans le délai de deux ans à compter de cette décision, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu’il y a lieu de faire application de l’article 627, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, la cassation encourue n’impliquant pas qu’il soit de nouveau statué sur le fond ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE

Note. 1. L’arrêt rapporté confirme des solutions déjà acquises relativement à la combinaison de la prescription des actions en responsabilité, comme par exemple celles édictées par l’article 2270 du Code Civil et au nombre desquelles figure la prescription décennale de la responsabilité du même nom, avec celle édictée par l’article L. 114-1 du Code des Assurances.

2. Dans le présent litige, un syndicat des copropriétaires, venant aux droits du maître de l’ouvrage originaire, après réception de l’ouvrage prononcée le 4 novembre 1976, assignait l’entrepreneur principal en janvier 1982. Cette action débouchait sur la condamnation de cet entrepreneur, sur le fondement de l’article 1792 du Code Civil, par un arrêt définitif de la Cour de Bordeaux du 12 septembre 1995. Cet arrêt déclarait par ailleurs irrecevable, car formulée pour la première fois seulement en cause d’appel, l’action directe de la victime à l’encontre de l’assureur de la responsabilité décennale de l’entrepreneur dont s’agit. Le syndicat des copropriétaires assignait alors, le 30 avril 1999, l’assureur de responsabilité décennale. L’assureur demandait au juge de rejeter cette seconde action à raison de son irrecevabilité, la prescription étant acquise.

3. La Cour de Bordeaux, par arrêt du 25 mai 2004, jugeait cependant la demande du syndicat des copropriétaires recevable au double motif que :

– l’article 2270 du Code civil ne s’appliquerait qu’entre le maître de l’ouvrage et toute personne physique ou morale susceptible de voir sa responsabilité engagée en vertu des article 1792 à 1792-4 du Code civil ; qu’il suffisait que le débiteur de la garantie ait été actionné dans le délai de la prescription décennale pour que la demande formulée contre l’assureur de l’auteur du dommage soit recevable ;

– la prescription biennale de l’article L. 114-1 du Code des assurances avait commencé à courir suite à l’assignation de 1982, mais que son cours avait été interrompu par de « multiples procédures ».

4. La Cour Suprême casse naturellement et logiquement l’arrêt de la Cour de Bordeaux au visa des articles 1792 et 2270 du Code civil d’une part, et de l’article L. 114-1 du Code des Assurances d’autre part.

Pour ce faire :

– elle rappelle d’abord le principe selon lequel si l’action directe de la victime contre l’assureur de responsabilité se prescrit en principe dans le même délai que l’action de la victime contre le responsable, elle peut cependant être exercée, au-delà de ce délai, tant que l’assureur reste exposé au recours de son assuré ;

– puis, implicitement mais nécessairement, le principe selon lequel l’interruption de la prescription de l’action en responsabilité dirigée contre l’assuré est sans effet sur l’action directe dirigée contre l’assureur.

Faisant application de ces deux principes aux faits de l’espèce, la Cour Suprême relève les deux éléments capitaux ci-après :

– la prescription n’a été interrompue qu’à l’égard de l’assuré par « la première procédure » c’est-à-dire celle ayant donné lieu à l’arrêt du 12 septembre 1995 sanctionnant la responsabilité de l’assuré sur le fondement de l’article 1792 du Code Civil ;

– et, aucune action n’a été intentée à l’encontre de l’assureur dans le délai de deux ans « à compter de cette décision », c’est-à-dire dans le délai de deux ans à compter de l’arrêt précité du 12 septembre 1995, sanctionnant la responsabilité décennale de l’assuré.

Dans ces conditions, la violation des articles 1792 et 2270 du Code Civil d’une part, et celle, par refus d’application de l’article L 114-1 du Code Civil d’autre part, était à l’évidence manifeste.

On ne peut donc qu’approuver l’arrêt rapporté.

5. Sur la justification des deux principes ci-dessus évoqués et rappelés, le lecteur est prié de se reporter à une note que nous avons publiée dans la présente revue (RGDA 2005 p. 433 et suiv.) sous un arrêt de la 2ème chambre civile du 17 février 2005 qui énonçait de façon particulièrement ferme pour la première fois que « l’interruption de l’action en responsabilité dirigée contre l’assuré est sans effet sur l’action dirigée contre l’assureur ».

On rappellera simplement ici que la jurisprudence rendue en application des principes ci-dessus énoncés consacre une certaine autonomie entre les délais d’action du tiers lésé à l’égard de l’assuré dont il met en œuvre la responsabilité, par rapport à celui de l’exercice de l’action directe à l’encontre de l’assureur, action directe dont la durée virtuelle peut aller jusqu’à 12 ans après la réception de l’ouvrage.

Ainsi, le tiers lésé peut agir à l’encontre de l’assureur :

– tout au long du délai pendant lequel il peut agir contre l’auteur du dommage, l’assureur ne pouvant, pendant ce délai, opposer au tiers victime la prescription biennale de l’article L. 114-1 du Code des assurances (Civ. 2, 13 mai 2004, inédit, n° 03-12963).

– au-delà même de ce délai mais à la condition alors que l’assureur soit encore exposé au recours de son assuré (solution expressément envisagée par Civ. 1, 7 octobre 1992, inédit titré, n° 90-12629).

Mais, il convient de souligner ici encore, que « l’allongement » de l’action à l’encontre de l’assureur, au-delà du délai d’action contre le responsable, ne doit pas conduire à ce que le tiers victime puisse agir dans tous les cas jusqu’à douze ans après la réception de l’ouvrage, cette durée n’étant que virtuelle, ce qui nous avait déjà conduit dans la note précitée à envisager deux situations différentes, selon que l’action à l’encontre de l’assuré avait été engagée entre la date de la réception et la 8ème année ou entre la 8ème année et le dernier jour de la garantie décennale.

La computation du délai de deux ans accordé en quelque sorte à titre supplémentaire (par rapport à la règle selon laquelle l’action directe de la victime contre l’assureur de responsabilité se prescrit en principe dans le même délai que l’action de la victime contre le responsable), se fait à compter de la mise en cause de l’assuré par la victime.

On relèvera à cet égard deux arrêts déjà cités dans notre note précitée sous l’arrêt du 17 février 2005 l’un du 13 février 1996 (Cass. 1ère civ. 13 février 1996, bull. civ. I n°76), l’autre en date du 23 mars 1999 (Cass. 1ère civ. 23 mars 1999, inédit titré n°97-15296).

Dans ces deux espèces, la Cassation (pour le premier arrêt précité) comme le rejet (pour le second arrêt précité) ont été motivés par la prise en considération de la date de la mise en cause de l’assuré à partir duquel a commencé à courir le délai biennal de l’article L. 114-1 du Code des Assurances, et dont l’expiration était intervenue antérieurement au délai de douze ans auquel certains praticiens se réfèrent à tort (10 + 2) et dont il convient de rappeler ici encore qu’il n’est que virtuel.

RGDA 2005-4 p.960

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