Interruption de la prescription de l’action directe (Cass.3e civ., 22 novembre 2006) — Karila

Interruption de la prescription de l’action directe (Cass.3e civ., 22 novembre 2006)

Ancien ID : 373

Action directe. Acte interruptif de prescription de la responsabilité de l’assuré. Effet sur la prescription de l’action directe (non).

Cass.3e civ., 22 novembre 2006, n° 05-18672


1. L’arrêt rapporté, rendu à l’occasion d’un pourvoi formé à l’encontre d’un arrêt de la Cour de Rennes :

– valide l’arrêt de la Cour d’appel en rejetant notamment l’un des moyens du pourvoi qui soutenait que l’assureur de responsabilité d’un constructeur ne pouvait, au mépris du principe de l’action directe dérivant de l’article L. 124-3 du Code des assurances, opposer à la victime la prescription de l’action de l’assuré à son égard (implicitement, en application de l’article L. 114-1 du Code des assurances), dès lors que ladite victime avait mis en cause l’assuré dans le délai d’action de la responsabilité de celui-ci ;

– casse sans renvoi l’arrêt précité de la Cour de Rennes, sur un moyen soulevé d’office par la Cour Suprême, après avis donné aux parties et ce, pour violation de l’article 1792 du Code civil.

2. L’arrêt rapporté, qui n’a fait que rappeler les solutions constantes et/ou pour le moins acquises, ne peut qu’être approuvé pour les raisons qui seront développées ci-après.

1) L’interruption de l’action en responsabilité dirigée contre l’assuré est sans effet sur l’action dirigée contre l’assureur

3. On rappellera ici que si l’action de la victime contre l’assureur se prescrit en principe dans le même délai que l’action de la victime contre le responsable, elle peut cependant être exercée au-delà de ce délai « tant que l’assureur reste exposé aux recours de son assuré », solution constante depuis un arrêt de principe du 11 mars 1986 (Cass. civ. 1re, 11 mars 1986, n° 84-14979, Bull. civ. I no 59, RGAT 1986.354, note J. Bigot, D. 1987, Somm. p. 183, note H. Groutel).

Étant rappelé que l’assureur ne reste exposé aux recours de son assuré que pendant le délai biennal de l’article L. 114-1 du Code des assurances, de sorte qu’il est consacré une certaine autonomie entre le délai d’action du tiers lésé à l’égard de l’assuré dont il met en oeuvre la responsabilité, par rapport à celui de l’action directe à l’encontre de l’assureur, action directe dont la durée virtuelle peut aller jusqu’à 12 ans depuis la réception de l’ouvrage (voir à cet égard note J.-P. Karila sous Cass. civ. 2e, 17 février 2005, RGDA 2005.433).

4. Il ne découle pas pour autant des principes ci-dessus évoqués, notamment de celui selon lequel l’action directe de la victime contre l’assureur de responsabilité se prescrit dans le même délai que l’action de la victime contre le responsable, que l’on puisse faire produire un effet interruptif sur l’action directe dirigée par la victime contre l’assureur aux actes qui ont interrompu l’action en responsabilité dirigée contre l’assuré par cette même victime, la Cour Suprême ayant :

– énoncé, dans l’arrêt de principe précité du 17 février 2005 (Cass. civ. 2e, 17 février 2005, Bull. civ. II, no 34, RGDA 2005.433, note J.-P. Karila), « que l’interruption de la prescription de l’action en responsabilité dirigée contre l’assuré est sans effet sur l’action directe dirigée contre l’assureur »,

– et cassé pour ce motif un arrêt d’une Cour d’appel qui avait jugé que l’interruption de la prescription de l’action dirigée contre l’assuré était opposable à l’assureur de responsabilité de celui-ci.

Cette solution est depuis constante et est justifiée à raison même des termes de l’article 2244 du Code civil, en vertu duquel si « une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie » a un effet interruptif, c’est exclusivement à l’encontre de « celui qu’on veut empêcher de prescrire », ceci conformément à une jurisprudence bien établie en la matière (encore Cass. civ. 3e, 23 février 2000, Bull. civ. III, no 39, RGDA 2000.545, note J.-P. Karila).

2) Sur l’absorption de la responsabilité contractuelle de droit commun par les garanties légales

Depuis un arrêt de principe rendu, sous l’empire du Code civil d’origine, le 13 avril 1988 (Cass. civ. 3e, 13 avril 1988, Bull. civ. III, no 67), réitéré, sous l’empire et/ou en marge du régime issu de la loi du 3 janvier 1967, les 25 janvier 1989 (Cass. civ. 3e, 25 janvier 1989, Bull. civ. III, no 20), et 4 octobre 1989 (Cass. civ. 3e, 4 octobre 1989, Bull. civ. III, no 178), puis sous le régime et/ou en marge du régime issu de la Loi du 4 janvier 1978 (Cass. civ. 3e, 11 mars 1992, Bull. civ. III, no 78 ; Cass. civ. 3e, 10 avril 1996, Bull. civ. III, no 100 ; Cass. civ. 3e, 9 juillet 1997, inédit, no 95-17669 ; Cass. civ. 3e, 6 octobre 1998, inédit, no 96-20296), la Cour a énoncé le principe ou encore posé la règle selon laquelle : « même s’ils ont comme origine des non-conformités aux stipulations contractuelles, les dommages qui relèvent d’une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes tenues à cette garantie, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun ».

En la circonstance, la Cour d’appel de Rennes avait déclaré recevable l’action des tiers lésés à l’encontre des constructeurs, sur le fondement de la non-conformité des travaux aux stipulations contractuelles, mais les en avait déboutés au motif que si la non-conformité était bien établie, la réalité d’un préjudice et d’un lien direct de cause à effet avec ladite non-conformité ne l’était pas.

La Cour Suprême a estimé, nonobstant cette décision de rejet, utile de rappeler le principe ci-dessus évoqué et a relevé d’office, après avis donné aux parties, le moyen tiré du principe ci-dessus évoqué.

En cela, elle ne peut être ici encore qu’approuvée.

On ne peut que regretter, en revanche, qu’alors que le principe ci-dessus est bien établi depuis maintenant près de deux décennies et qu’il a été réitéré à de nombreuses reprises, une Cour d’appel l’ait méconnu…

J.-P. Karila

RGDA 2007, p. 123

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