Étendue du recours de l’assureur dommages-ouvrage (Cass. 3e civ., 22 oct. 2014) — Karila

Étendue du recours de l’assureur dommages-ouvrage (Cass. 3e civ., 22 oct. 2014)

Le recours subrogatoire de l’assureur dommages-ouvrage ne pouvant excéder la somme à laquelle l’assuré pouvait prétendre au titre de la réparation des désordres de nature décennale, même si, en raison du non-respect de ses obligations légales, l’assureur avait été condamné à payer une somme supérieure, une cour d’appel a ainsi pu fixer, contradictoirement, la créance subrogatoire au montant des travaux de réparation nécessaires dont elle a souverainement apprécié la valeur.

Cass. 3e civ., 22 oct. 2014, n° 13-24420

FS-P+B

Par Laurent Karila

Avocat à la cour, barreau de Paris

Chargé d’enseignement à l’Université de Paris I


Aux termes de l’arrêt rapporté, destiné à être publié au Bulletin, la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel le recours de l’assureur dommages-ouvrage ne peut excéder la somme à laquelle l’assuré pouvait prétendre au titre de la réparation des désordres, ajoutant « même si, en raison du non-respect de ses obligations légales, l’assureur dommages-ouvrage avait été condamné à une somme supérieure », dernière précision surprenante puisqu’aussi bien il ne résulte pas des dispositions de l’article L.242-1, 5e alinéa du Code des assurances, que l’assureur qui n’aurait pas respecté les délais et/ou obligations y associés, soit tenu à titre de sanction de payer une indemnité supérieure au « dépenses nécessaires à la réparation des dommages ».

On sait en effet que par suite de la réforme du 31 décembre 1989, applicable depuis le 1er juillet 1990, l’indemnité d’assurance de l’assureur qui a failli à ses obligations légales et/ou contractuelles, et qui est, à ce titre, tenu au financement de la réparation des dommages déclarés, y compris lorsque ceux-ci ne sont pas de nature décennale, doit correspondre au strict coût des travaux nécessaires et en aucun cas, être augmenté à titre de sanction ou par l’effet de l’estimation de l’assuré lui-même.

La jurisprudence est à cet égard constante depuis plusieurs décennies, les juges du fond appliquant ce principe résultant de nombreux arrêts de la Cour de cassation (voir à titre d’ex. : Cass. 3e civ., 29 fév. 2000, n°97-19.680, Bull. civ. I, n°62, RGDA 2000, p.134, note J.P. Karila ; Cass. 3e civ., 28 oct. 2003, n°01-15.574 ; Cass. 1er civ., 10 janv. 1995, n°93-12.127 et n°93-13.226, Bull. civ. I, n°22, RGAT 1995, p.105, note J.P. Karila,).

La condamnation d’un assureur dommages-ouvrage au paiement d’une indemnité destinée au financement des travaux nécessaires à la réparation des dommages ne le prive évidemment pas du droit de recourir à l’encontre des constructeurs responsables et de leurs assureurs de responsabilité, les sanctions applicables aux manquements de l’assureur à ses obligations étant fixées « limitativement » par l’article L.242-1 du Code des assurances (Cass. 3e civ., 9 mai 2012, n°11-11.749).

Le caractère limitatif des sanctions conduit en conséquence à ce que l’assureur défaillant ne soit néanmoins pas tenu au-delà d’une somme supérieure au strict coût objectif des travaux ; la Cour de cassation ayant néanmoins admis le recours subrogatoire d’un assureur dommages-ouvrage qui avait réglé une somme supérieure au strict coût objectif des travaux nécessaires (Cass. 3e civ., 20 oct. 2010, n°09-15.327 ; RGDA 2011, p.31, note critique de M. Périer).

En revanche, l’assureur dommages-ouvrage est seul débiteur de l’indemnité complémentaire visée au 5e alinéa de l’article L.242-1 du Code des assurances (majoration du coût des travaux d’une indemnité équivalant double du taux d’intérêt légal sur ledit montant), de sorte qu’il ne peut prétendre recouvrer le montant de l’indemnité auprès des responsables et de leurs assureurs de responsabilité (Cass. 3e civ., 8 juin 2005, n°03-29.992 ; Bull. civ. III, n°123 ; Cass. 3e civ., 24 oct. 2012, n°10-27.884 et n°11-11.323 ; Bull. civ. III, n°149).

Mais les principes ci-dessus énoncés sont en concours avec le principe selon lequel dans tous les cas le coût des travaux de réparation est apprécié souverainement par les juges du fond (Cass. 1e civ., 10 janv. 1995 précité, n°93-12.127 ; Bull. civ. I, n°22 ; Cass. 1e civ., 7 janv. 1997, n°94-21.636 ; Bull. civ. I, n°4).

Or, l’appréciation souveraine des juges du fond peut conduire à un montant de travaux nécessaires à la réparation de désordres inférieur à celui auquel l’assureur a pu être condamné à régler avant d’exercer son recours subrogatoire.

De sorte que la nature et l’étendue des travaux nécessaires pourront être appréciées de façon différente dans les rapports entre assureur dommages-ouvrage et son assuré d’une part, et entre l’assureur dommages-ouvrage et les constructeurs responsables et leurs assureurs de responsabilité d’autre part.

C’est justement par référence à l’appréciation souveraine des juges du fond que la Cour de cassation, après avoir rappelé que le recours subrogatoire de l’assureur ne pouvait excéder la somme à laquelle l’assuré pouvait prétendre, alors même qu’il avait été condamné à une somme supérieure à raison du non-respect de ses obligations légales, a validé l’arrêt de la Cour de PARIS en énonçant que celle-ci avait « pu fixer contradictoirement la créance subrogatoire au montant hors taxe des travaux de réparation nécessaires dont elle a souverainement apprécié la valeur ».

La validation étant opérée dans le cadre d’un simple contrôle de motivation et a « l’abri » de l’appréciation souveraine des juges du fond, l’arrêt rapporté n’a donc aucune portée normative.

On indiquera pour être exhaustif que dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt rapporté, la Cour de cassation avait antérieurement cassé un arrêt de référé de la Cour de Rennes (Cass. 3e civ., 29 fév. 2000 précité), qui avait condamné l’assureur à une indemnité correspondant à l’estimation de l’assuré, la Haute juridiction ayant alors renvoyé l’affaire devant la même Cour de Rennes autrement composée bien évidemment, laquelle a alors prononcé la condamnation de l’assureur à un montant strictement identique à l’arrêt cassé mais correspondant à sa propre estimation, la Cour s’étant déterminée elle-même et non par référence à l’estimation de l’assuré.

La situation ci-dessus décrite met en relief que le renvoi après cassation devant la même Cour que celle ayant rendu l’arrêt censuré, même autrement composée, peut s’avérer inopportun ou présenter certains inconvénients.

Dans l’espèce, objet de notre note, l’assureur avait exercé son recours subrogatoire à concurrence du strict montant de la condamnation à laquelle il avait été condamné par la Cour de renvoi (arrêt de la Cour de Rennes du 9 mars 2001).

Enfin, on ne peut manquer de relever que la solution retenue par l’arrêt rapporté est totalement différente de l’esprit ayant présidé à un arrêt rendu quelques semaines auparavant par la 3e Chambre Civile le 9 avril 2014 (Cass. 3e civ., 9 avril 2014, n°13-15.555 FS, RGDA 2014, p.345, note J.P. Karila), validant, dans le droit fil de deux précédents arrêts rendus le 1er mars 2006 (Cass. 3e civ., 1er mars 2006, n°04-20.399 ; Bull. civ. III, n°49, arrêt n°1 – Cass. 3e civ., 1er mars 2006, n°04-20.551, Bull. civ. III, n°49, arrêt n°2), une décision de la Cour d’Appel de Caen en énonçant que celle-ci avait retenu à bon droit que les assureurs de responsabilité de l’architecte et de l’entrepreneur auxquels incombait la charge finale de la réparation des désordres relevant de l’article 1792 du Code Civil, devaient prendre toutes mesures utiles pour éviter l’aggravation du sinistre et ne pouvait pas se prévaloir des fautes de l’assureur dommages-ouvrage, qui auraient pu concourir à l’aggravation des désordres.

 

Cass. 3e civ., 22 octobre 2014, no 13-24420

Publié au Bulletin

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le premier moyen :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 24 mai 2013), que la société Axa France ARD (la société Axa France), assureur dommages-ouvrage, subrogée dans les droits de l’Association syndicale libre du Centre République (l’ASL), a exercé son recours contre Mme X…, venant aux droits de son mari, architecte, la MAF, assureur de ce dernier, la société Eiffage construction Pays de Loire (la société Eiffage), venant aux droits de la société CBL, entreprise tous corps d’état et son assureur, la SMABTP, ainsi que M. Y…, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Durand, sous-traitant de la société CBL pour le lot toiture, et la société Allianz, assureur de celle-ci, pour obtenir leur condamnation à lui rembourser le montant de la provision qu’elle a été condamnée à payer à l’ASL en exécution d’un arrêt de la cour d’appel de Rennes du 9 mars 2001, statuant en matière de référé ;
Attendu que la société Axa France fait grief à l’arrêt de limiter la condamnation in solidum de Mme X…, la MAF, la société Eiffage et la SMABTP à lui payer la somme de 511 705,69 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2009 alors, selon le moyen :
1°/ que la fixation judiciaire du montant de l’indemnité nécessaire à la réparation des dommages préfinancés par l’assureur dommages-ouvrage en application de l’article L. 242-1 du code des assurances dans ses rapports avec la victime s’impose aux tiers responsable et à leurs assureurs de responsabilité ; qu’en statuant comme elle l’a fait, limitant l’assiette du recours subrogatoire de la société Axa France, assureur dommages-ouvrage, légalement subrogée, quand le montant de l’indemnité nécessaire à la réparation du dommage non contesté avait été fixé par un arrêt de la cour d’appel de Rennes du 9 mars 2001 conformément aux prescriptions de l’article L. 242-1, la cour d’appel a violé ledit texte, ensemble l’article L. 121-12 du code des assurances ;
2°/ que viole l’article L. 121-12 du code des assurances, la cour d’appel qui fixe le montant du recours subrogatoire à une somme inférieure à l’indemnité versée par l’assureur dommages-ouvrage et qui a été employée à la réparation des désordres, de sorte que l’arrêt attaqué encourt la censure en fixant le montant du recours la société Axa France à la somme de 511 705,69 euros, après avoir constaté que la somme de 1 700 120,59 euros versée par la société Axa France avait été employée à la réparation du dommage ;
3°/ sans intérêt ;
4°/ sans intérêt ;
Mais attendu d’une part … sans intérêt ;
Attendu, d’autre part, qu’ayant retenu à bon droit que le recours subrogatoire de l’assureur dommages-ouvrage ne pouvait excéder la somme à laquelle l’assuré pouvait prétendre au titre de la réparation des désordres de nature décennale, même si, en raison du non-respect de ses obligations légales, l’assureur dommages-ouvrage avait été condamné à payer une somme supérieure, la cour d’appel a pu fixer contradictoirement la créance subrogatoire au montant hors taxes des travaux de réparation nécessaires dont elle a souverainement apprécié la valeur ;
D’où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n’est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :
REJETTE le pourvoi


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