La prescription de l’action directe de la victime contre l’assureur du responsable n’est pas interrompue par l’action judiciaire introduite contre ledit responsable (Cass. 3e civ., 15 mai 2013) — Karila

La prescription de l’action directe de la victime contre l’assureur du responsable n’est pas interrompue par l’action judiciaire introduite contre ledit responsable (Cass. 3e civ., 15 mai 2013)

Commentaire paru à la Revue de droit immobilier 2013 p.484 – Me Laurent Karila, Avocat, chargé d’enseignement à l’université de Paris I 

 » Attendu que le syndicat fait grief à l’arrêt de déclarerprescrite son action à l’encontre de la MAF, alors, selon le moyen, que l’action de la victime contre l’assureur de responsabilité, qui trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice, se prescrit par le même délai que son action contre le responsable, de sorte que la première ne saurait expirer avant la seconde et que l’interruption de l’action en responsabilité décennale dirigée contre le responsable a effet sur le cours de la prescription de l’action directe dirigée contre l’assureur de ce dernier ; qu’en déclarant prescrite l’action intentée le 5 mars 2009 par le syndicat des copropriétaires contre l’assureur de l’architecte, quand l’action en responsabilité décennale du syndicat contre l’architecte avait été interrompue le 10 septembre 2004 par la délivrance d’une assignation en référé et qu’un nouveau délai d’action de dix ans avait recommencé à courir à compter de l’ordonnance du 27 octobre 2004, si bien que l’action de la victime contre l’assureur avait été intentée dans le délai pendant lequel l’assuré demeurait exposé au recours de la victime, la cour d’appel a violé les articles 1792 et 1792-4-1 (anciennement 2270) du code civil, ensemble l’article 2244 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 ;

Mais attendu qu’ayant relevé que la réception des travaux était fixée au 14 septembre 1995, que le syndicat avait assigné l’architecte en référé expertise le 10 septembre 2004 et la MAF sur le fondement de la garantie décennale le 5 mars 2009, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action du syndicat à l’égard de la MAF n’avait pas été diligentée dans les dix ans de la réception et qu’à défaut pour le syndicat d’avoir exercé son recours à l’encontre de l’assureur de l’architecte responsable, avant le 10 septembre 2006, son action était prescrite ; »

Cour de cassation, 3e civ., 15 mai 2013, n° 12-18.027, publié au Bulletin


Observations

L’article L. 124-3 du code des assurances inséré au chapitre IV du titre II dudit code intitulé « Les assurances de responsabilité » dispose que « le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de personne responsable ».

Si ledit article ne dit rien du délai de ladite action directe, la jurisprudence a eu l’occasion d’énoncer le principe selon lequel l’action directe de la victime contre l’assureur se prescrit dans le même délai que l’action de la victime contre le responsable, ledit délai pouvant être toutefois étendu tant que l’assureur du responsable reste exposé au recours de son assuré en application de la prescription biennale de l’article L. 114-1, alinéa 2, du code des assurances (1).

Ladite prescription biennale de l’action directe n’ayant vocation à limiter le délai d’action du tiers victime qu’entre la 8e année et le dernier jour de l’expiration du délai décennal, l’action directe peut être auparavant librement exercée pendant les 8 premières années du délai d’action de la garantie décennale, alors même que l’assuré aurait été mis en cause plus de deux ans auparavant.

La question posée par l’arrêt du 15 mai 2013 était celle de savoir si la victime, qui avait assigné en référé expertise le responsable assuré à la 9e année du délai décennal mais n’avait pas exercé son action directe à l’encontre de l’assureur de responsabilité dans les deux ans de cette assignation ou de l’ordonnance de référé qui a suivi, pouvait exciper vis-à-vis dudit assureur, du bénéfice de l’interruption de la prescription du délai décennal opérée par la mise en cause de son assuré.

La Cour de cassation répond – comme elle l’avait déjà fait par une jurisprudence constante (2) – par la négative en énonçant que le tiers victime est prescrit à agir contre l’assureur et ne peut pas exciper vis-à-vis de celui-ci d’une prétendue interruption de la prescription du délai décennal opérée par la mise en cause de son assuré, ladite mise en cause n’ayant aucun effet interruptif du délai d’action contre son assureur.

C’est un raisonnement en tout point conforme à l’effet relatif de l’interruption de la prescription contenu à l’ancien article 2244 du code civil qui énonce qu’« une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui que l’on veut prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir » d’une part, et à l’alinéa 2 de l’article L. 114-1 du code des assurances qui dispose que la prescription biennale de l’action de l’assuré ayant pour cause l’action d’un tiers se compute du « jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré » d’autre part.

On relèvera toutefois que l’arrêt commenté, comme ceux rendus dans le même sens précédemment, l’ont été sous l’empire de l’ancien article 2244 précité, et non pas sous l’empire du nouvel article 2241 du code civil désormais applicable énonçant que « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion », lequel ne reprend pas l’effet relatif de l’interruption de la prescription à celui que l’on veut empêcher de prescrire contenu à l’article 2244.

Nous attendrons donc que la Cour de cassation confirme – comme il nous paraît opportun – la règle confirmée par l’arrêt du 15 mai 2013, en faisant application des articles combinés L. 124-3 et L. 114-1 du code des assurances et de l’article 2241 du code civil.

Mots clés : ASSURANCE * Assurance de responsabilité * Action directe * Prescription * Interruption * Action contre le responsable

(1) Civ. 1re, 11 mars 1986, n° 84-14.979, Bull. civ. I, n° 59 – Civ. 1re, 16 févr. 1988, n° 86-10.918, Bull. civ. I, n° 41 – Civ. 1re, 23 mars 1999, n° 97-15.296 – Civ. 3e, 7 juin 2005, n° 04-16.914 – Civ. 1re, 29 oct. 2002, n° 99-19.742, RDI 2003. 29, obs. P. Dessuet  – Civ. 1re, 13 nov. 202, n° 99-14.865, RDI 2003. 29, obs. P. Dessuet  – Civ. 3e, 26 nov. 2003, n° 01-11.245, Bull. civ. III, n° 208, D. 2004. 913 obs. H. Groutel  ; RDI 2004. 54, obs. L. Grynbaum  – Civ. 3e, 17 mars 2004, n° 00-22.522, Bull. civ. III, n° 56 – Civ. 2e, 17 févr. 2005, n° 03-16.590, Bull. civ. II, n° 34, D. 2005. 855 ; RDI 2005. 89, obs. P. Dessuet  ; ibid. 185, obs. G. Leguay  ; RGDA 2005. 33, note J.-P. Karila – Civ. 1re, 19 déc. 2012, n° 11-27.593.

(2) Civ. 1re, 13 févr. 1996, n° 93-16.005, Bull. civ. I, n° 76 – Civ. 1re, 24 févr. 2004, n° 01-14.991 – Civ. 2e, 17 févr. 2005, n° 03-16.590, préc. – Civ. 3e, 22 nov. 2006, n° 05-18.672, RGDA 2007. 123, note J.-P. Karila – Civ. 3e, 18 déc. 2012, nos 12-11.581, 11-27.397 et 12-10.103, arrêt n° 1571.

Me Laurent Karila, Avocat, chargé d’enseignement à l’université de Paris I – Revue de droit immobilier 2013 p.484


Document(s) associé(s) à cet article

Articles associés