Le paiement de l’assuré est-il une condition de la subrogation ? (Cass. 3e civ., 16 octobre 2008) — Karila

Le paiement de l’assuré est-il une condition de la subrogation ? (Cass. 3e civ., 16 octobre 2008)

Ancien ID : 609

Vu les articles 126 du code de procédure civile et L. 121-12 du code des assurances ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les époux X… ont réceptionné des travaux de construction d’une villa ; qu’à la suite de désordres, ils ont assigné, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, en référé expertise, la société Mutuelles du Mans assurances (MMA) qui a fait attraire à la procédure, aux mêmes fins, notamment le bureau d’étude CTBI Y… (le bureau d’études) et son assureur Les Souscripteurs du Lloyd’s de Londres (la société Lloyd’s) ; que la société Lga, venant aux droits de M. Y… est intervenue en l’instance ; qu’après dépôt du rapport d’un expert judiciaire, un jugement du 15 décembre 1998 devenu définitif, a condamné la société MMA à indemniser les époux X… ; qu’après avoir versé à ceux-ci une certaine somme, la société MMA en a demandé le remboursement aux différents intervenants à la construction et à leurs assureurs respectifs ;

Attendu que pour condamner le bureau d’études, la société Lga et la société Llyod’s in solidum à payer à la société MMA la somme de 157 856 avec intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2000, l’arrêt énonce que la réception est intervenue le 31 juillet 1984 ; que les maîtres de l’ouvrage ont assigné le 18 juillet 1994 la société MMA en référé pour obtenir la désignation d’un expert ; que l’assureur dommages- ouvrage peut mettre en oeuvre ses appels en garantie à l’encontre des constructeurs et leurs assureurs même s’il n’a pas encore payé une indemnité à l’assuré ; qu’étant assignée en référé par les époux X…, la société MMA , en faisant également assigner en référé, les 27, 28 et 29 juillet 1994, le bureau d’études et la société Lga en déclaration d’expertise commune, a valablement interrompu, même sans avoir indemnisé préalablement les maîtres de l’ouvrage, le délai décennal qui expirait le 31 juillet 1994 ; qu’un nouveau délai a couru à compter du prononcé de l’ordonnance du 3 août 1994 désignant l’expert ; que dès lors, l’action au fond a été engagée par la société MMA par actes des 30 juin et 3 juillet 2000 dans le délai ;

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher comme le faisaient valoir le bureau d’études, la société Lga et la société LLoyd’s dans leurs écritures d’appel, si l’indemnisation des époux X… par la société MMA n’était pas intervenue le 21 janvier 1999, à l’issue de la condamnation prononcée par jugement du 15 décembre 1998, soit au-delà du délai de prescription décennale expirant le 1er août 1994, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen : Casse et annule…

Observations

Il est acquis, depuis un certain nombre d’arrêts rendus par la première et la troisième Chambre civile de la Cour de cassation(1) qu’est recevable l’action engagée par l’assureur dommages-ouvrage, avant l’expiration du délai de forclusion décennale, contre les responsables des dommages dont il doit assurer le financement de la réparation, bien qu’il n’ait pas eu, au moment de la délivrance de son assignation, la qualité de subrogé de son assuré, faute de l’avoir indemnisé, dès lors qu’il a payé l’indemnité à celui-ci avant que le juge du fond n’ait statué.

Cette solution a l’avantage d’évacuer la question irritante du recours subrogatoire de l’assureur dommages-ouvrage en fin de période de garantie avant qu’il n’ait payé l’indemnité due à son assuré et dont le quantum peut dépendre aussi, dans certains cas, des résultats d’une expertise judiciaire toujours en cours.

La deuxième Chambre civile dans l’arrêt ci-avant reproduit du 16 octobre 2008 casse une décision rendue par la cour d’Aix-en-Provence qui avait accueilli l’action subrogatoire de l’assureur dommages-ouvrage au motif que celui-ci avait valablement interrompu la prescription décennale en assignant les constructeurs dans le délai de la garantie décennale, peu important qu’il n’ait pas à l’époque réglé l’indemnité au bénéficiaire de l’assurance dommages-ouvrage.

La cassation est prononcée pour défaut de base légale au regard des articles 126 du code de procédure civile et L. 121-12 du code des assurances.

L’article 126 du code de procédure civile pose en son premier alinéa le principe de l’éviction de l’irrecevabilité si sa cause a disparu au moment où le juge statue, raison pour laquelle la jurisprudence ci-dessus évoquée de la première et de la troisième Chambre civile vise toujours l’article 126 du code précité.

Le texte dont s’agit dispose néanmoins en son deuxième alinéa qu’ « il en est de même lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l’instance », disposition qui pourrait impliquer que lors de la délivrance de son assignation, l’assureur dommages-ouvrage doive d’ores et déjà avoir qualité à agir, c’est-à-dire avoir indemnisé la victime assurée.

De sorte que le visa de l’article 126 du code de procédure civile, sans précision de l’alinéa en vertu duquel la Haute juridiction aura statué, peut être équivoque et renvoyer à l’une ou l’autre des situations ci-dessus évoquées encore que certains arrêts, comme notamment un arrêt du 9 octobre 2001 (2), visent expressément le premier alinéa du texte précité, c’est-à-dire la possibilité pour une personne qui n’est pas recevable à agir de régulariser la situation en faisant disparaître la cause de l’irrecevabilité notamment pour ce qui est de l’assureur dommages-ouvrage, par son paiement, avant que le juge du fond ne statue ; étant souligné que cet arrêt suggère l’idée d’une subrogation in futurum, le titrage dudit arrêt étant ainsi rédigé : « Assurance (règles générales) – Recours contre le tiers responsable – Subrogation légale – Conditions – Versement de l’indemnité – Versement postérieur à l’introduction de l’action subrogatoire – Effet. » ; étant précisé que l’arrêt qualifie l’action de l’assureur dommages-ouvrage d’action en garantie sans autre précision.

Ce sont également des notions d’action en garantie et de subrogation in futurum qui animent à notre avis, un arrêt de la troisième Chambre civile du 30 janvier 2008 (3) qui valide un arrêt de la Cour de Versailles qui avait condamné in solidum des assureurs de responsabilité des responsables des dommages à « garantir » l’assureur dommages-ouvrage de l’intégralité des condamnations mises à la charge de ce dernier au considérant ci-après rapporté : « Mais attendu qu’une partie assignée en justice est en droit d’en appeler une autre en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle ; qu’ayant relevé qu’assigner en garantie pour son assuré, la Société AGF avait appelé en garantie les responsables des désordres et leur assureur, la Cour d’appel en a exactement déduit que cette société serait, après paiement, subrogée dans les droits et actions des sociétés maître de l’ouvrage et, donc, recevable à agir à titre récursoire à l’encontre des constructeurs et de leur assureur ».

C’est donc par le biais de l’idée d’une subrogation in futurum et/ou encore de celle d’action en garantie que l’assureur dommages-ouvrage peut éviter/contourner une application trop rigoureuse du deuxième alinéa de l’article 126 du code de procédure civile qui suppose qu’au moment de son intervention au procès (que ce soit en cours d’instance ou encore à l’origine), il ait déjà qualité à agir.

En l’état, l’arrêt rendu par la deuxième Chambre civile qui n’est pas destiné à être publié et qui ne traduit donc pas une volonté quelconque de la Haute juridiction d’opérer un revirement de jurisprudence, ne devrait en conséquence pas modifier la jurisprudence actuelle, rendue définitivement, expressément ou implicitement par référence au premier alinéa de l’article 126 du code de procédure civile ou encore à raison d’une qualification d’action en garantie et/ou encore de l’idée d’une subrogation in futurum.

Mots clés :

ASSURANCE * Assurance dommages-ouvrage * Recours subrogatoire * Indemnisation préalable * Prescription

(1) Civ. 3e, 21 janv. 2004, pourvoi n° 02-14.391, RGDA 2004. 454, obs. J.-P. Karila ; Civ. 3e, 10 déc. 2003, n° 01-00.614, Bull. civ. III, n° 225 ; RDI 2004. 53, obs. L. Grynbaum  ; Civ. 3e, 9 juill. 2003, pourvoi n° 02-10.270, Bull. civ. III, n° 144 ; Civ. 1re, 9 oct. 2001, pourvoi n° 98-18.378 : Bull. civ. I, n° 245 ; RGDA 2001. 976, note J.-P. Karila ; RGDA 2002. 94, note Ph. Rémy ; RDI 2002. 31, obs. G. Durry  ; Civ. 3e, 4 avr. 2001, pourvoi n° 99-16.554 ; Civ. 3e, 29 mars 2000, pourvoi n° 98-19.505, Bull. civ. III, n° 67 ; RGDA 2002. 157, note J. Beauchard ; v. également Constr.-urb. 2007. 11, ét. n° 24 C. Charbonneau.

(2) Civ. 1re, 9 oct. 2001, pourvoi n° 98-18.378 ; Bull. civ. I, n° 245 ; RGDA 2001. 976, note J.-P. Karila ; RGDA 2002. 94, note Ph. Rémy ; RDI 2002. 31, obs. G. Durry .

(3) Civ. 3e, 30 janv. 2008, pourvoi n° 06-19.100.


Source : Cass. 3e civ., 16 octobre 2008, n° 07-19272


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