L’opposabilité de l’exclusion des dommages affectant les ouvrages exécutés, à raison de l’identité de références aux conditions particulières et générales — Karila

L’opposabilité de l’exclusion des dommages affectant les ouvrages exécutés, à raison de l’identité de références aux conditions particulières et générales

Cass. 3e civ., 17 octobre 2019, 18-17058, RGDA 2019, p. 30, note Laurent Karila

Exclusion de garantie ; Conditions générales ; Exclusions et limitation de garantie ; Opposabilité ; Attestation d’assurance comportant les mêmes références que les conditions particulières et les conditions générales ; Volonté du souscripteur de souscrire la police avec toutes ses conditions d’application (oui) ; Opposabilité au tiers exerçant l’action directe (oui)

L’assureur était bien fondé à opposer le bénéfice de la clause d’exclusion de garantie concernant les dommages affectant les ouvrages exécutés par son assuré, contenue à des conditions générales non signées dont les références étaient visées à des conditions particulières également non signées mais portant le même numéro que l’attestation d’assurance sur le fondement de laquelle le maître d’ouvrage exerçait l’action directe.

Extrait :

« LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 25 janvier 2018), que Mme L. a fait construire, en qualité de maître de l’ouvrage, bénéficiant d’une assurance dommages-ouvrage souscrite auprès de la société Amtrust international underwriters, représentée en France par la société European Insurance services limited (la société EISL), un groupe d’immeubles par la société Cotebat, assurée auprès de la société Sagena, à laquelle a succédé la société SMA, sous la maîtrise d’oeuvre de la société J. C. architecte (la société J. C.), assurée auprès de la société Mutuelle des architectes français (la MAF) ; qu’elle a vendu en l’état futur d’achèvement une maison d’habitation à M. et Mme Q. et une autre maison à M. et Mme B. ; qu’après expertise, elle a assigné l’assureur dommages-ouvrage, l’architecte et son assureur, l’assureur de la société Cotebat, M. et Mme B. et M. et Mme Q. en indemnisation des différents préjudices subis pendant le chantier et en paiement de solde par les acquéreurs ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu que Mme L. fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande de condamnation de la société SMA à l’indemniser en sa qualité d’assureur de la société Cotebat et à la garantir des condamnations prononcées contre elle ;

Mais attendu qu’ayant retenu qu’en produisant au maître de l’ouvrage son attestation d’assurance comportant les mêmes références que les conditions particulières et les conditions générales, la société Cotebat avait manifesté sa volonté de souscrire cette police avec toutes ses conditions d’application, notamment les clauses d’exclusion et de limitation de garantie contenues dans les conditions générales, la cour d’appel a pu en déduire, abstraction faite d’un motif erroné mais surabondant sur la nature de l’assurance de responsabilité civile, que la SMA était bien fondée à opposer l’exclusion de garantie concernant les dommages affectant les ouvrages exécutés par son assuré et a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le second moyen, ci-après annexé : […] »

Note :

Voici l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler plusieurs principes acquis et d’apporter une précision sur les conditions de preuve des termes du contrat d’assurance opposables par l’assureur de responsabilité d’un locateur d’ouvrage au maître d’ouvrage tiers victime exerçant l’action directe à son encontre.

Le contexte est banal. Le maître de l’ouvrage vendeur exerce au principal une action judiciaire à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage d’une part, et de l’entreprise générale (Cotebat), du maître d’œuvre et de leurs assureurs de responsabilité d’autre part, aux fins de leur condamnation in solidum au paiement du montant utile à la réparation de dommages survenus en cours de chantier.

Le maître d’ouvrage fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier d’avoir dit mal fondée son action directe à l’encontre de la SMA au motif que la clause d’exclusion des dommages affectant les ouvrages exécutés dont l’assureur excipait du bénéfice lui était opposable.

La Cour de cassation a retenu que la cour d’appel avait pu en déduire que la SMA était bien fondée à opposer l’exclusion de garantie concernant les dommages affectant les ouvrages exécutés par son assuré et avait légalement justifié sa décision de ce chef ; à raison de la production au maître de l’ouvrage de l’attestation d’assurance de la Société Cotebat comportant les mêmes références que les conditions particulières et les conditions générales, ladite société Cotebat ayant ainsi manifesté sa volonté de souscrire cette police avec toutes ses conditions d’application, notamment les clauses d’exclusion et de limitation de garantie contenues dans les conditions générales.

Voici donc confirmation implicite – puisque tel n’était pas le moyen du pourvoi – :

  • que la clause d’exclusion des dommages affectant les ouvrages exécutés découlant de l’exécution du chantier n’est pas illicite comme étant formelle et limitée (on rappellera notamment des arrêts récents dans le même sens : Cass. 3e civ., 22 nov. 2018, n° 17-26424 : LEDA févr. 2019, n° 111t4, p. 3, Bertolaso S. – Cass. 2e civ., 19 mai 2016, n° 15-18545 – Cass. 2e civ., 19 nov. 2015, n° 14-18009 – Cass. 3e civ., 14 mai 2013, n° 12-12064, 12-18451 – Cass. 1re civ., 13 févr. 2001, n° 98-12473) ; et
  • que l’assureur de la responsabilité civile de l’entrepreneur n’est pas légalement tenu de mentionner à l’attestation d’assurance qu’il délivre à son assuré aux fins d’être in fine et en pratique communiquée au maître de l’ouvrage, les exclusions contenues dans la police d’assurance ; étant ici rappelé que la jurisprudence a eu l’occasion de préciser que l’absence de mention desdites exclusions ne contrevenant pas à une des obligations contractuelles de l’assureur vis-à-vis de son assuré, elle ne justifiait pas une condamnation sur le fondement de sa responsabilité délictuelle vis-à-vis du maître de l’ouvrage puisque ledit assureur n’a pas commis de faute (Cass. 3e civ., 22 nov. 2018, n° 17-26424) d’une part, et que l’arrêt d’appel de Montpellier énonçait à cet égard que « Si l’attestation d’assurance doit être fiable et apporter des informations sur la nature et l’étendue des garanties, elle ne reproduit pas toutes les clauses du contrat d’assurance, notamment les clauses d’exclusion et de limitation de garantie. L’attestation produite par la société Cotebat précisait d’ailleurs qu’elle ne pouvait engager l’assureur au-delà des clauses et conditions du contrat auquel elle se référait », d’autre part.

La question plus délicate étant toutefois de savoir si la SMA – sur qui la charge de la preuve de l’exclusion incombait – pouvait opposer la clause d’exclusion considérée au maître d’ouvrage en se contentant, comme elle le fit, de produire la photocopie des conditions particulières non signées portant le numéro de contrat figurant sur l’attestation ainsi que la référence des conditions générales non signées versées également aux débats en photocopie.

La Cour de cassation a retenu que la cour d’appel avait pu légitimement en déduire que la SMA était bien fondée à opposer l’exclusion de garantie concernant les dommages affectant les ouvrages exécutés par son assuré, en considérant qu’en produisant au maître de l’ouvrage son attestation d’assurance comportant les mêmes références que les conditions particulières et les conditions générales, la société Cotebat avait manifesté sa volonté de souscrire cette police avec toutes ses conditions d’application, notamment les clauses d’exclusion et de limitation de garantie contenues dans les conditions générales.

La circonstance que l’attestation d’assurance portait le même numéro que celui des conditions particulières portant la référence des conditions générales contenant la clause d’exclusion invoquée par l’assureur, permettait de conclure que la société COTEBAT avait bien manifesté sa volonté de souscrire cette police avec toutes ses conditions d’application, le contrat d’assurance étant un contrat consensuel parfait dès la rencontre des volontés de l’assureur et de l’assuré – prouvée par tous moyens – d’une part, et que de la clause d’exclusion dont le bénéfice était excipé par l’assureur était bien opposable, d’autre part.

On se rappellera que la Cour de cassation avait déjà jugé qu’était inapplicable la clause contenue dans une version des conditions générales ne portant pas le même numéro que celui porté aux conditions particulières (Cass. 1re civ., 25 oct. 1994, n° 92-14654 : RGDA 1994, p. 1095, note Chardin F.) et encore que l’exclusion de garantie dont se prévaut l’assureur n’est pas établie dès lors que les conditions générales de la police d’assurance ne sont pas versées aux débats et que l’exemplaire des conditions spéciales contenant la clause d’exclusion pour les dommages subis par les travaux exécutés par l’assuré ainsi que le coût de leur réparation n’est pas daté (Cass. 3e civ., 5 juill. 2011, n° 10-18457 – Dans le même sens : Cass. 3e civ., 21 janv. 2015, n° 14-25829). On citera enfin un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 14 avril 2016 (Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, n° 15-16625 et 15-22147, PB ; Resp. civ. et assur. 2016, comm. 171, Hocquet-Berg S.) selon lequel les conditions particulières du contrat d’assurance même non signées par l’assuré lui sont opposables dès lors que les conditions générales du contrat qui ont été portées à la connaissance de l’assuré y renvoyaient expressément.

 

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