Interruption. Article L.114-2 du Code des assurances. Lettre recommandée réclamant l’indemnité d’assurance. Nécessité d’une réclamation chiffrée (non). (Cass. 3e civ., 17 juin 2009, n° 08-14404) — Karila

Interruption. Article L.114-2 du Code des assurances. Lettre recommandée réclamant l’indemnité d’assurance. Nécessité d’une réclamation chiffrée (non). (Cass. 3e civ., 17 juin 2009, n° 08-14404)

Ancien ID : 709

Interruption. Article L. 114-2 du Code des assurances. Lettre recommandée réclamant l’indemnité d’assurance. Nécessité d’une réclamation chiffrée (non).

Une cour d’appel déduit exactement des termes de la lettre du conseil de l’assuré adressée en recommandée avec demande d’avis de réception à l’assureur, réclamant à celui-ci l’exécution de sa garantie au titre des conséquences du sinistre, qu’il s’agit d’une demande de règlement de l’indemnité d’assurance au sens de l’article L.114-2 du Code des assurances même si l’expertise judiciaire en cours ne permettait pas à cette date, l’expression d’une demande chiffrée.

Cour de cassation (3e Ch. civ.) 17 juin 2009 Pourvoi no 08-14104, Bull. n°142

La Cour,

Sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 janvier 2008), que le Groupement foncier agricole Le Font du Broc, maître de l’ouvrage, a, selon devis du 2 juillet 1995, confié à la société Pab constructions (société Pab), assurée par la société Aviva assurances, venant aux droits de la société Abeille assurances, la réalisation d’un ouvrage à usage de cave de vinification et de conservation, composé, à l’intérieur d’une structure cubique enterrée, sur deux niveaux, d’un ensemble de poteaux en pierres taillées avec embases et chapiteaux, supportant en partie centrale une voûte en plein cintre de huit mètres de portée avec clef à neuf mètres du sol, assimilable à une cathédrale souterraine ; que les pièces nécessaires au montage des poteaux, des arcs et des voûtes ont été façonnées selon des cotes précises par la société Le Taillant, assurée par la société GAN eurocourtage IARD, venant aux droits de la société GAN assurances IARD, avec des pierres du Gard fournies par la société Jupiter Carrières La Romaine (société Jupiter), assurée par la société La Flandre assurance ; que M. X…, ingénieur béton, assuré par la société Mutuelle des architectes français a été chargé de l’étude de la reprise des charges avant réalisation de louvrage en élévation ; que le 4 octobre 1996, l’ouvrage s’est effondré, alors au stade du coffrage de la dalle de sous-sol ; qu’une expertise a été ordonnée en référé le 18 décembre 1996 et la mission de l’expert complétée le 28 mai 1997 ; que les travaux ont été repris le 24 juillet 1997 ; qu’après dépôt du rapport le 11 janvier 1999, le GFA a assigné en réparation les sociétés Pab, Le Taillant, et Jupiter, M. X… et les assureurs ; que des recours en garantie ont été formés ;

Attendu que la société Aviva fait grief à l’arrêt de déclarer recevable l’action de la société Pab à son encontre et de la condamner, au titre de la garantie effondrement, à verser à son assurée la somme de 34 638,96 euros, alors, selon le moyen :

1o/ qu’aux termes de l’article L. 114-2 du Code des assurances, la prescription biennale n’est interrompue par l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception adressée par l’assuré à l’assureur que si ce courrier concerne le règlement de l’indemnité ; que la cour d’appel, qui a retenu que la lettre du 28 janvier 1999 avait valablement interrompu le cours de la prescription, sans constater que ladite lettre visait le paiement de l’indemnité, a méconnu le texte susvisé ;

2o/ qu’aux termes de l’article L. 114-2 du Code des assurances, la prescription biennale n’est interrompue que par l’ordonnance de désignation d’un expert, et recommence à courir dès le prononcé de cette décision ; que la cour d’appel, qui a retenu que la lettre du 28 janvier 1999, bien que ne demandant pas le paiement de l’indemnité, avait valablement interrompu le cours de la prescription, au motif que l’assuré ne pouvait à cette date demander ce règlement en raison de l’expertise judiciaire en cours, s’est prononcée par des motifs inopérants, en violation des dispositions de l’article L. 114-2 du Code des assurances ;

3o/ sans intérêt.

Mais attendu, d’une part, qu’ayant constaté que la lettre recommandée avec accusé de réception adressée le 28 janvier 1999 par la société Pab, représentée par son conseil, à son assureur, la société Aviva assurances, énonçait « en application des dispositions des articles L. 114-1 et 2 du Code des assurances, je vous notifie à nouveau l’interruption de la prescription pour les conséquences de ce sinistre », la cour d’appel en a exactement déduit que concerne le règlement de l’indemnité au sens de l’article L. 114-2 du Code des assurances, même si l’expertise judiciaire en cours ne permettait pas à cette date l’expression d’une demande chiffrée, la lettre par laquelle l’assuré réclame à l’assureur l’exécution de sa garantie au titre des conséquences du sinistre, objet de cette expertise ;

Attendu, d’autre part… sans intérêt.

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les moyens du pourvoi principal, qui ne seraient pas de nature à permettre l’admission de ce pourvoi ;

Par ces motifs ;

Déclare non admis le pourvoi principal ;

Rejette le pourvoi incident…

Note

1. L’article L.114-2 du Code des assurances énonce que « la prescription [celle instituée par l’article L.114-1 du Code des assurances] est interrompue par une des causes ordinaires d’interruption de la prescription et par la désignation d’expert à la suite d’un sinistre » et ajoute « l’interruption de la prescription peut, en outre, résulter de l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception adressée… par l’assuré à l’assureur en ce qui concerne le règlement de l’indemnité ».

2. Le lecteur aura observé que le texte ci-avant reproduit contient d’abord l’affirmation de ce que la prescription est interrompue dans certains cas tandis qu’elle peut résulter d’autres faits ou actes.

C’est sans doute à la faveur de cette rédaction que la jurisprudence interprète de façon assez libérale et favorable à l’assuré les termes le « règlement de l’indemnité » n’exigeant en conséquence pas que l’assuré présente une réclamation chiffrée, voir utilise nécessairement le terme « indemnité » dans sa correspondance, comme cela a été le cas dans l’arrêt rapporté.

La Haute Juridiction valide en effet une décision d’une Cour d’appel qui avait considéré que la lettre recommandée AR par laquelle le conseil de l’assuré avait indiqué à l’assureur « en exécution de l’article L. 114-1 et 2, je vous notifie à nouveau l’interruption de la prescription pour toutes les conséquences de ce sinistre », lettre n’utilisant donc pas le terme d’indemnité ni ne présentant une réclamation chiffrée quelconque, impossible d’ailleurs à l’époque de l’envoi de la lettre recommandée dont s’agit, les opérations d’expertise judiciaire toujours en cours ne le permettant pas.

3. Les juges du fond avaient déjà statué en ce sens (CA. Paris, 8e Chambre, 8 janvier 2009, no 07-04664, Sa Albingia c/ Sdcp 19 rue Cambacérès – 75008 Paris ; CA Rouen, 2e Chambre, 19 octobre 2006, no 05-044271, Reneder Farcat c/ Axa Assurances Iard Mutuelle ; CA Rennes, 15 décembre 1999, no 98-07906, Syndicat du 1 rue Lafayette c/ Cie La Lutèce ; néanmoins en sens contraire on relèvera un arrêt du 18 juin 2009, CA Bordeaux, 5e Chambre, no 07-03759 Dulieu c/ Mutualité de la Fonction Publique) mais c’est, à notre connaissance, la première fois que la Cour de Cassation se prononce sur la question.

4. On observera incidemment que c’était l’avocat de l’assuré et non l’assuré lui-même qui avait adressé la lettre recommandée ci-dessus évoquée à l’assureur, sans que celui-ci ait fait reproche à la Cour d’appel d’avoir considéré que la lettre de l’avocat suppléait celle que le Code des assurances exigeait, c’est-à-dire la lettre de l’assuré lui-même.

Un tel reproche aurait-il été formulé qu’il aurait été a priori rejeté puisqu’il est acquis désormais depuis un arrêt du 22 septembre 2005 (Cass. 2e civ., 22 septembre 2005, no 04-18713, Bull. civ. II, no 231 ; RCA 2005, Comm. no 341 par H. Groutel), réitéré en 2007 (Cass. 2e civ., 27 février 2007, no 06-16230 ; RCA, Comm. no 141 par H. Groutel), qu’il s’infère de la combinaison de l’article L. 114-2 du Code des assurances et 1984 du Code civil que l’interruption de la prescription peut résulter de l’envoi d’une lettre recommandée avec avis de réception que le mandataire de l’assuré adresse à l’assureur.

Le reproche aurait donc été probablement écarté si l’on admet, ce qui n’est pourtant pas évident, que dans tous les cas, l’Avocat est le mandataire de l’assuré…

Jean-Pierre Karila – RGDA 2009-03, p. 759

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