La notification de l’assureur à son assuré sur le principe de sa garantie doit être postérieure à la communication du rapport préliminaire d’expertise à son assuré (Cass. 1e civ. 3 novembre 1993) — Karila

La notification de l’assureur à son assuré sur le principe de sa garantie doit être postérieure à la communication du rapport préliminaire d’expertise à son assuré (Cass. 1e civ. 3 novembre 1993)

Ancien ID : 114

Assurance de Dommages Obligatoire

Jean-Pierre Karila

Principe de garantie. Décision de l’assureur. Notification à l’assuré. Délai. Rapport d’expertise préliminaire. Notification après communication du rapport à l’assuré.

L’assureur ne peut valablement notifier à son assuré, dans le délai qui lui est imparti, sa décision sur le principe de sa garantie, sans être en possession du rapport préliminaire établi par l’expert, et l’avoir préalablement communiqué à son assuré.

Cour de cassation (1re Ch. civ.), 3 novembre 1993, 91-18128

Terre et Pierre Gestion et UAP c/ AXA

La Cour,

Attendu que, des désordres s’étant produits dans les deux ensembles immobiliers dénommés, l’un Les Hameaux de Fargues, l’autre Résidence le Viguier, dont l’Union des Assurances de Paris – Vie (UAP) propriétaire, avait confié la gestion la Société Terre et Pierre Gestion, une déclaration de sinistre a, le 22 novembre 1990 pour Les Hameaux de Fargues, le 28 dcembre 1990 pour la Résidence Le Viguier, été adressée à la Compagnie AXA Drouot, auprès de laquelle avait été souscrite, pour chacun de ces ensembles immobiliers, une police d’assurance dommages – ouvrage ; que son assurée ayant récusé l’expert qu’elle avait désigné le 17 dcembre 1990 pour le premier sinistre, et le 21 janvier 1991 pour le second, la Compagnie AXA Drouot, après avoir, le 25 janvier 1991, notifié à l’UAP son refus de garantir les désordres survenus dans Les Hameaux des Fargues, a, par assignation du 4 fvrier 1991, saisi le juge des référés d’une demande tendant à la désignation d’un expert par application des dispositions des clauses types applicables aux contrats d’assurances de dommages pour les travaux de bâtiment et figurant l’annexe II l’article A. 243-1 du Code des Assurances ; que, par ordonnance du 5 février 1991, ce magistrat a confié à l’expert qu’il a désigné pour les deux sinistres, la mission habituelle en cas de désordres dans une construction immobilière, en lui impartissant un délai de quarante jours pour accomplir ses opérations ; que, le 22 mars 1991, la Compagnie AXA Drouot a communiqué à son assurée le rapport de l’expert et lui a notifié son refus de garantir le sinistre concernant la Résidence Le Viguier ; que l’arrêt attaqué (Nîmes, 25 juin 1991) a déclaré « mal fond en ce qu’il contestait les dates d’expiration des délais de la garantie » l’appel, par l’UAP, de l’ordonnance précitée et, réformant partiellement cette dcision, a dit que l’expert devra procéder à ses opérations « comme en matire d’expertise dommages-ouvrage » ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et quatrième branches :

Attendu que la Socité Terre et Pierre Gestion et l’UAP font grief à l’arrêt d’avoir déclaré l’appel non fond en ce qu’il contestait les dates d’expiration « des délais de la garantie » alors, selon le moyen, d’une part, que le droit d’appel appartient à tous ceux qui ont été parties ou représentés en première instance, et qu’il leur est loisible d’invoquer, devant les juges du second degré, des moyens nouveaux ; qu’en refusant à l’UAP la possibilité de contester pour la premire fois devant elle les dates d’expiration des délais impartis à la Compagnie AXA pour prendre position sur le principe de sa garantie, la Cour d’appel a violé les articles 546 et 554 du Nouveau Code de Procédure Civile ; et alors, d’autre part, qu’en décidant, en ce qui concerne le sinistre survenu dans la Résidence Le Viguier, qu’il n’y avait pas lieu de constater que la garantie était acquise, alors que la Compagnie AXA Drouot avait notifié son refus de garantie sur le vu du rapport d’un expert qui n’avait pas reçu la mission prévue par les clauses types de l’assurance dommages-ouvrage et que la décision de l’assureur était donc dépourvue de toute valeur juridique, la Cour d’appel a violé une nouvelle fois les textes précités ;

Mais attendu, d’abord, que, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs au pourvoi, la Cour d’appel, qui n’a pas déclaré irrecevable le moyen soulevé par l’UAP, mais a observé que celle-ci était mal fondée invoquer un tel moyen, n’a pas refusé à cet assureur la possibilité de contester pour la première fois devant elle la date d’expiration des délais impartis à la Compagnie AXA pour notifier sa décision quant au principe de la mise en jeu de sa garantie ; que, d’autre part, ni la Société Terre et Pierre Gestion, ni l’UAP n’ont soutenu devant la Cour d’appel que le rapport de l’expert désigné par l’ordonnance de référé du 5 fvrier 1991, qui a été communiqué à l’assurée le 22 mars 1991, ne répondait pas, par ses constatations, aux conditions énoncées par les clauses types applicables aux contrats d’assurance de dommages obligatoires et relatives à l’établissement du rapport préliminaire destiné à permettre l’assureur de prendre sa dcision sur le principe de la mise en jeu de sa garantie ; que le grief, qui manque en fait en sa première branche, est nouveau, mélangé de fait et de droit et donc irrecevable en sa seconde branche ;

Mais sur la deuxime branche du moyen :

Vu les articles L. 242-1 et A. 243-1 du Code des Assurances, ensemble l’annexe II ce dernier article ;

Attendu, selon les clauses types figurant à cette annexe, que dans un délai maximum de soixante jours, sauf prolongation, courant à compter de la réception de la déclaration de sinistre, l’assureur, sur le vu du rapport préliminaire établi par l’expert et pralablement communiqué à l’assur, notifie à celui-ci sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties du contrat ; que toute décision négative de l’assureur, ayant pour effet de rejeter la demande d’indemnisation, doit être expressment motivée ; que l’assureur prend les dispositions ncessaires pour que l’assuré puisse être saisi du rapport prliminaire en temps utile et, en tout cas, dans un délai compatible avec celui qu’il est lui-mme tenu d’observer ; que faute, pour l’assureur, de respecter le délai précité de soixante jours, et sur simple notification faite à l’assureur, les garanties du contrat d’assurance jouent pour ce qui concerne le sinistre déclaré et l’assuré est autorisé à engager les dépenses correspondant à l’excution des mesures conservatoires ncessaires à la non-aggravation des dommages, dans la limite de l’estimation portée dans le rapport prliminaire de l’expert ; que si, dans le même délai, l’assuré na pu avoir connaissance du rapport préliminaire, il est autorisé de la même manière à engager les dépenses en cause, dans la limite de l’estimation qu’il a pu en faire lui-même ; qu’il résulte de ces dispositions que l’assureur ne peut valablement notifier à son assuré, dans le délai qui lui est imparti, sa décision sur le principe de sa garantie, sans être en possession du rapport préliminaire établi par l’expert, et l’avoir pralablement communiqué à son assur ;

Attendu que, pour décider qu’il n’y avait pas lieu de constater que la garantie était acquise pour le sinistre survenu dans les Hameaux de Fargues, l’arrêt attaqué retient que le délai imposé à la Compagnie AXA Drouot n’était pas expiré le 25 janvier 1991, date à laquelle cet assureur avait notifié à son assurée sa dcision de refus de garantie ;

Attendu, cependant, qu’il résultait des constatations de l’arrêt qu’à la date du 25 janvier 1991, aucun rapport préliminaire n’avait été communiqué à l’assurée ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen,

Casse et annule, mais seulement en ce qu’il a dit mal fond l’appel de l’UAP en ce qu’il tend à contester les dates d’expiration des délais imposés à la Compagnie AXA Drouot

Note. L’arrêt rapporté a été rendu dans le cadre d’un litige opposant deux assureurs.

La solution qu’il pose en accueillant favorablement la deuxième branche du moyen unique de cassation, sans même examiner la troisième branche dudit moyen, clt, semble-t-il, le débat qui s’est instauré un temps sur le point de savoir si l’assureur dommages – ouvrage, qui doit prendre position sur le principe de sa garantie dans un délai de 60 jours à compter de la réception de la déclaration de sinistre, peut se dispenser – lorsqu’il entend notifier un refus de garantie – de mettre en oeuvre la procédure contractuelle et impérative de constatation, d’expertise et d’indemnisation des dommages.

Cette procdure, ainsi que les garanties, sécurités et sanctions qui l’assortissent, stipulées dans les clauses types dictées par le pouvoir réglementaire à l’annexe II l’article A. 243-1 du Code des Assurances (arrt du 17 novembre 1978 modifié notamment le 16 août 1984 et le 13 juillet 1990) sont trop connues pour devoir être rappelées ou complétées au-delà du rappel qu’en fait l’arrêt analysé.

On sait qu’à compter d’un délai maximum de 60 jours – lequel, contrairement à l’nonciation de la Cour Suprme est insusceptible de prolongation, seul celui de 105 jours ramené à 90 jours par l’effet de la Loi du 31 dcembre 1989 (voir comm. de Mr J. Bigot sur ladite Loi, RAGT 1990.25 et s ; JCP 1990 doct. n38 37) pouvant l’être – l’assureur doit notifier sa décision « quant au principe de sa garantie » et ce, au « vu du rapport préliminaire » établi par l’Expert (que celui-ci soit désigné par l’assureur ou par le Juge des référés en cas de double récusation par l’assuré), l’assureur devant prendre à cet égard « toutes les dispositions ncessaires pour que l’assuré puisse (en) être saisi en temps utile, et en tout cas, dans un délai compatible avec celui qu’il est lui-même tenu d’observer ».

Peut-on en déduire que l’assureur ne peut valablement notifier à son assur sa position sur le principe de sa garantie sans être en possession du rapport préliminaire et en outre sans l’avoir préalablement communiqué à son assuré

La Cour Suprême répond affirmativement, en se contentant de relever que la décision de refus de garantie de l’assureur avait été notifiée à l’assuré en l’absence de toute communication du rapport préliminaire.

Le caractre abrupt de la solution ainsi posée souffre notre avis la critique.

Certes, l’assureur doit prendre sa décision au vu du rapport prliminaire qu’il doit notifier à son assuré, le tout dans le délai impratif de 60 jours.

Cependant, la clause type sanctionne d’abord et surtout le dépassement par l’assureur dudit délai de 60 jours.

Les clauses types stipulent en effet que faute pour l’assureur de respecter le délai de 60 jours et sur simple notification lui faite, « les garanties du présent contrat jouent pour ce qui concerne le sinistre déclaré, et l’assuré est autorisé à engager les dépenses correspondant à l’excution des mesures conservatoires ncessaires à la non-aggravation des dommages, dans la limite de l’estimation portée dans le rapport préliminaire de l’Expert », tandis que « si dans le mme délai, l’assuré n’a pu avoir connaissance du rapport préliminaire, il est autorisé de la mme manière à engager les dépenses en cause dans la limite de l’estimation qu’il a pu en faire lui-même ».

La carence de l’assureur, au regard de son obligation de communiquer le rapport prliminaire, n’est donc envisage – au titre des sanctions – que pour permettre l’excution des mesures conservatoires nécessaires à la non-aggravation des dommages, l’estimation des dépenses ncessaires à cet égard par l’assuré lui-mme (à défaut de communication du rapport d’expertise préliminaire et des indications qu’il contiendrait sur ce point) en constituant le moyen le plus sûr.

On peut mme ajouter que cette dernire sanction est autonome et devrait recevoir application, alors même que l’assureur aurait notifié dans le délai une décision positive sur le principe de sa garantie, sans pour autant communiquer le rapport prliminaire.

Si on admet cette analyse, la solution de l’arrêt rapporté nierait de fait ce caractre autonome, en posant la règle implicite mais nécessaire (voir le dispositif de l’arrêt) qu’à défaut de communication du rapport prliminaire, l’assureur n’a pas respecté le délai de 60 jours, alors même qu’il aurait notifié à l’intérieur dudit délai sa décision quant au principe de sa garantie.

Si on ne partage pas cette analyse, on devrait nanmoins convenir que la solution peut revêtir, dans certaines circonstances particulières, un caractre excessif, lorsque notamment il résulte des termes même de la déclaration de sinistre, que les dommages qui y sont visés sont insusceptibles de relever – pour des raisons d’ordre juridique – des garanties du contrat (voir à cet gard les observations de Mr J. Bigot, in RGAT 1990.197, sous TGI Grasse (rfr) du 22 novembre 1989 ; voir galement les observations de Mr J. Bigot, in RAGT 1985.389 sous TGI, Paris le 12 fvrier 1985).

Jean-Pierre Karila – RGDA 1994-1 P.164

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