Absence d’exonération des constructeurs : illustrations (Cass. civ. 3ème., 1 mars 2006 ; Cass. civ. 3ème., 1 mars 2006) — Karila

Absence d’exonération des constructeurs : illustrations (Cass. civ. 3ème., 1 mars 2006 ; Cass. civ. 3ème., 1 mars 2006)

Ancien ID : 192

Aggravation des désordres à raison du retard dans l’indemnisation. Faute opposable par l’assureur de responsabilité décennale à l’assureur dommages ouvrage. (Non)

Défaut de mise en oeuvre de l’assurance dommages ouvrage par ses bénéficiaires. Effet exonératoire à l’égard des constructeurs (non).

L’assureur de responsabilité décennale, sur qui pèsera la charge finale de la réparation des désordres relevant de l’article 1792 du Code Civil ne peut tirer argument des fautes éventuelles de l’assureur dommages ouvrage dans l’exécution de son contrat, ayant pu concourir à l’aggravation des dommages alors qu’il incombait audit assureur de responsabilité décennale de prendre toute mesure utile pour éviter cette aggravation, l’argumentation soutenue par les constructeurs fondée sur le préfinancement des travaux par l’assureur dommages ouvrage étant inopérante pour les exonérer de la responsabilité qui leur incombe en application de l’article 1792 précité du Code Civil, de sorte que la Cour d’appel a légalement justifié sa décision au regard de l’article 1382 du Code Civil. (première espèce).

A légalement justifié sa décision au regard de l’article 1382 du Code Civil la Cour d’appel qui, ayant relevé que l’assureur en responsabilité décennale d’un constructeur ne peut se prévaloir de la faute de l’assureur dommages ouvrage ouvrant droit à garantie à son profit, que l’assurance dommages ouvrage, assurance de chose, bénéficiant au maître de l’ouvrage, ne constitue pas pour le constructeur une assurance de responsabilité et que ledit assureur de responsabilité était à même de faire cesser le préjudice en finançant lui-même les travaux de réparation nécessaires à la remise en état de l’ouvrage (deuxième espèce).

Justifie légalement sa décision la Cour d’appel qui retient que le grief adressé aux bénéficiaires de l’assurance dommages ouvrage de non utilisation de celle-ci n’avait pas pour effet d’exonérer les constructeurs de leur responsabilité légale. (première espèce).

Cour de Cassation (3ème Ch. Civ.) (1ère espèce), 1er mars 2006, n° 04-20399

Sté cabinet Alliaume et a. contre SNC rue Lecourbe et a.

La Cour.

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 22 septembre 2004), que la SNC 231, rue Lecourbe, assurée selon police dommages ouvrage et selon police constructeur non réalisateur auprès de la compagnie des Assurances Générales de France, a fait construire un ensemble de bâtiments à usage d’habitation ; que le Cabinet Alliaume, assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (MAF), a été chargé d’une mission de maîtrise d’oeuvre ; que M. X… a assuré la conception de la façade ; que la société Coteba, assurée auprès de la compagnie AXA Corporate Solutions, a été chargée de la maîtrise d’oeuvre d’exécution ; que l’entreprise Laudro, actuellement en liquidation judiciaire, assurée auprès de la Société mutuelles d’assurances du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) a été chargée du lot menuiseries extérieures tandis que la société Fichet Bauche, assurée auprès de la société AXA Courtage, réalisait les portes palières ; que le CEP aux droits duquel se trouve le Bureau Véritas a réalisé le contrôle technique ; que l’immeuble, divisé en lots, a été vendu en l’état futur d’achèvement et que les appartements ont été livrés fin 1991 ; que des désordres étant apparus postérieurement, la SNC 231, rue Lecourbe ainsi que des copropriétaires au titre des désordres subis dans leurs parties privatives ont agi en réparation à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage et constructeur non réalisateur ainsi que des locateurs d’ouvrage et de leurs assureurs ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal et le premier moyen du pourvoi incident, réunis :

Attendu que le Cabinet Alliaume, M. X…, la MAF, la Société Coteba et la Compagnie AXA Corporate Solutions font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes formées à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage alors, selon le moyen, que le tiers peut se prévaloir de l’inexécution du contrat auquel il n’est pas partie dès lors que cette inexécution lui cause un préjudice ; qu’en s’abstenant de rechercher en l’espèce, alors qu’elle y était invitée, si l’assureur dommages ouvrage, en ne satisfaisant pas à son obligation de prise en charge des travaux de réparation, n’avait pas commis une faute qui avait contribué à aggraver les désordres et alourdir ainsi la dette définitive de réparation mise à la charge des constructeurs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l’assureur en responsabilité de l’entrepreneur, sur qui pèsera la charge finale de la réparation des désordres relevant de l’article 1792 du Code civil, ne peut tirer argument des fautes éventuelles de l’assureur dommages ouvrage dans l’exécution de son contrat, ayant pu concourir à l’aggravation des dommages alors qu’il incombait au premier de ces assureurs de prendre toute mesure utile pour éviter cette aggravation ; qu’ayant relevé que l’argumentation soutenue par les constructeurs fondée sur le préfinancement des travaux par l’assureur dommages ouvrage était inopérante pour les exonérer de la responsabilité qui leur incombe en application de l’article 1792 du Code civil, la cour d’appel a légalement justifié sa décision de ce chef ; (…)

Sur le second moyen du pourvoi principal :

Attendu que la Cabinet Alliaume, M. X…, la MAF, la société Coteba et la compagnie AXA Corporate Solutions font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes formées à l’encontre des bénéficiaires de l’assurance dommages ouvrage, alors, selon le moyen, que le tiers peut se prévaloir de l’inexécution du contrat auquel il n’est pas partie dès lors que cette inexécution lui cause un préjudice ; qu’en s’abstenant de rechercher en l’espèce, ainsi qu’elle y était invitée, si les bénéficiaires de l’assurance dommages ouvrage, en ne mettant pas en oeuvre la garantie de l’assureur n’avaient pas commis une faute qui avait contribué à aggraver les désordres et alourdir la dette définitive de réparation mise à la charge des constructeurs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu’ayant retenu que le grief adressé aux bénéficiaires de la police dommages ouvrage au motif de la non-utilisation de l’assurance dommages ouvrage n’avait pas pour effet d’exonérer les constructeurs de leur responsabilité légale, la cour d’appel a légalement justifié sa décision de ce chef ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Cour de Cassation (3ème Ch. Civ.) (2nde espèce), 1er mars 2006, n° 04-20551

M.A.F. contre Sté Bureau Veritas et a.

La Cour.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Pau, 15 septembre 2004), que la Société d’économie mixte d’Ondres et du Comité d’Etablissement Turboméca (SEMOCET) a fait construire un complexe sportif ; qu’une police dommages ouvrage a été souscrite auprès de la société Abeille, aux droits de laquelle vient la société Aviva assurances ; que des désordres étant apparus, la SEMOCET a assigné l’assureur dommages ouvrage qui a appelé en garantie les constructeurs et leurs assureurs de responsabilité ; que l’action intentée à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage a été déclarée tardive et seuls les constructeurs et leurs assureurs ont été condamnés ; que la Mutuelle des architectes français (MAF), assureur de M. X…, architecte, a alors agi à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle ;

Attendu que la MAF fait grief à l’arrêt attaqué de la débouter de sa demande à l’encontre de la société Abeille, devenue société Aviva, alors, selon le moyen, que le tiers peut se prévaloir de l’inexécution du contrat auquel il n’est pas partie dès lors que cette inexécution lui cause un préjudice ; qu’en s’abstenant de rechercher en l’espèce, ainsi qu’elle y était invitée, si l’assureur dommages ouvrage en ne satisfaisant pas à son obligation de prise en charge des travaux de réparation, n’avait pas commis une faute qui avait contribué à aggraver les désordres et alourdir ainsi la dette définitive mise à la charge des constructeurs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu’ayant relevé que l’assureur en responsabilité décennale d’un constructeur ne peut se prévaloir de la faute de l’assureur dommages ouvrage ouvrant droit à garantie à son profit, que l’assurance dommages ouvrage, assurance de chose, bénéficiant au maître de l’ouvrage, ne constitue pas pour le constructeur une assurance de responsabilité et que la MAF était à même de faire cesser le préjudice en finançant elle-même les travaux de réparation nécessaires à la remise en état de l’ouvrage, la cour d’appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE

Note. 1. Par deux arrêts du même jour, la Haute juridiction a tranché la question du recours extracontractuel de l’assureur de responsabilité décennale à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage, à raison de la faute que ce dernier aurait commise dans l’exécution de ses obligations contractuelles, manquement ayant conduit à l’aggravation des désordres affectant l’ouvrage objet du contrat d’assurance par suite des travaux réalisés par son assuré.

2. L’un des deux arrêts rapportés (première espèce) tranche en outre la question du recours nécessairement extracontractuel des constructeurs et de leurs assureurs de responsabilité décennale à l’encontre des bénéficiaires de l’assurance dommages ouvrage pour n’avoir pas mis en oeuvre l’assurance de choses dont s’agit.

3. Nous examinerons d’abord la question commune aux deux arrêts relativement au recours des constructeurs et/ou de leurs assureurs en responsabilité décennale à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage.

Puis celle ne concernant que la première espèce relativement au recours des précités à l’encontre cette fois-ci des bénéficiaires de l’assurance dommages ouvrage pour n’avoir pas mis en oeuvre ladite assurance en temps opportun.

Sur le recours des constructeurs et/ou de l’assureur de responsabilité décennale desdits constructeurs à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage.

4. Dans les deux espèces rapportées, l’action extracontractuelle engagée à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage était juridiquement fondée sur la faute qu’aurait commise ledit assureur dans l’exécution de ses obligations contractuelles.

Le pourvoi dans les deux espèces, rédigé en termes strictement identiques par le même Avocat, après avoir énoncé que le tiers peut se prévaloir de l’inexécution d’un contrat auquel il n’est pas partie comme constitutive d’une faute délictuelle susceptible d’engager la responsabilité de son auteur (invoquant spécialement l’arrêt de principe de la première chambre civile, Civ. 1ère, 13 février 2001, Bull. n° 35), reprochait à chacune des Cours d’appel concernées, celle de Paris pour la première espèce, celle de Pau pour la seconde espèce, d’avoir privé leur décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code Civil pour n’avoir pas recherché si l’assureur dommages ouvrage, en ne satisfaisant pas à son obligation de prise en charge des travaux de réparation – le pourvoi insistant sur la volonté du législateur d’imposer à l’assureur dommages ouvrage une obligation de réponse rapide justement dans l’objectif d’éviter l’aggravation des désordres affectant l’ouvrage – n’avait pas commis une faute qui avait contribué à aggraver les désordres et n’avait pas ainsi alourdi la dette définitive de réparation mise à la charge des constructeurs.

Dans les deux espèces, la Cour Suprême rejette le pourvoi en posant le principe selon lequel l’assureur de responsabilité décennale ne peut engager la responsabilité délictuelle de l’assureur dommages ouvrage qui aurait commis une faute dans l’exécution de son contrat conduisant à l’aggravation des désordres.

Quoique retenant une solution commune, la motivation de ces deux arrêts, pourtant rapportés par le même Conseiller, n’est pas strictement identique.

Dans la première espèce, la Cour de cassation rejette le pourvoi au considérant ci-après reproduit :

« Mais attendu que l’assureur en responsabilité de l’entrepreneur, sur qui pèsera la charge finale de la réparation des désordres relevant de l’article 1792 du Code civil, ne peut tirer argument des fautes éventuelles de l’assureur dommages ouvrage dans l’exécution de son contrat, ayant pu concourir à l’aggravation des dommages alors qu’il incombait au premier de ces assureurs de prendre toute mesure utile pour éviter cette aggravation ; qu’ayant relevé que l’argumentation soutenue par les constructeurs fondée sur le préfinancement des travaux par l’assureur dommages ouvrage était inopérante pour les exonérer de la responsabilité qui leur incombe en application de l’article 1792 du Code Civil, la Cour d’appel a légalement justifié sa décision de ce chef » ;

Tandis que, dans la seconde espèce, la Haute juridiction rejette le pourvoi au motif ci-après reproduit :

« Mais attendu qu’ayant relevé que l’assureur en responsabilité décennale d’un constructeur ne peut se prévaloir de la faute de l’assureur dommages ouvrage ouvrant droit à garantie à son profit, que l’assurance dommages ouvrage, assurance de chose, bénéficiant au maître de l’ouvrage, ne constitue pas pour le constructeur une assurance de responsabilité et que la MAF était à même de faire cesser le préjudice en finançant elle-même les travaux de réparation nécessaires à la remise en état de l’ouvrage, la cour d’appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ».

Ces deux motivations ne sont pas d’égale valeur et, pour commune que soit la solution, c’est la seule motivation du premier arrêt de la première espèce qui doit être retenue.

La motivation de l’arrêt de la seconde espèce n’est pas en effet celle d’un arrêt de principe, la Cour de Cassation se bornant à contrôler la motivation de la Cour de Pau.

Plus précisément, la Cour Suprême, après le rappel des trois arguments retenus par la Cour précitée de Pau pour débouter l’assureur de responsabilité décennale de son action à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage, savoir :

– l’assureur de responsabilité décennale ne peut exciper de la faute de l’assureur dommages ouvrage « ouvrant droit à garantie à son profit » ;

– l’assurance dommages ouvrage étant une assurance de chose bénéficiant au maître de l’ouvrage, ne saurait constituer également une assurance de responsabilité des constructeurs ;

– l’assureur en responsabilité décennale était à même d’éviter l’aggravation en finançant lui-même les travaux de réparation nécessaires à la remise en état de l’ouvrage.

valide l’arrêt de la Cour de Paris au motif que la Cour d’appel avait procédé aux recherches prétendument omises et avait donc légalement justifié sa décision.

Ce faisant, la Cour de Cassation n’opère manifestement pas un contrôle approfondi de la motivation de la Cour d’appel se bornant à les rapporter comme le souligne les termes « ayant relevé que « .

La solution retenue par la Cour d’appel de Pau est donc validée alors que la motivation qui a conduit à cette solution n’était à l’évidence pas exempte de critique dès lors que :

– l’action de l’assureur de responsabilité décennale contre l’assureur dommages ouvrage ne tendait pas à la mise en oeuvre de la police dommages ouvrage au profit du constructeur, mais tendait à engager la responsabilité délictuelle de cet assureur de sorte que le deuxième argument est sans portée ;

– le premier argument est un savant mélange entre action en responsabilité (faute de l’assureur dommages ouvrage) et garantie contractuelle (ouvrant droit à garantie à son profit).

5. Aussi, même si les deux arrêts rapportés retiennent tous deux la solution interdisant à l’assureur de responsabilité décennale de demander, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la condamnation de l’assureur dommages ouvrage à raison de la faute qu’il aurait commise dans l’exécution de son contrat et conduisant à l’aggravation des désordres, seule la motivation du premier arrêt est topique, motivation sur laquelle il convient de revenir.

La Cour de cassation énonce une règle et sa justification.

La règle est simple : l’assureur de responsabilité décennale ne peut exciper des fautes qu’aurait éventuellement commises l’assureur dommages ouvrage dans l’exécution de son contrat (comme par exemple un refus injustifié de garantie, l’absence de mise en oeuvre de toute procédure dans les délais légaux, ou tout autre manquement à la procédure d’ordre public résultant de la combinaison des articles L. 242-1 et de son annexe I, à l’article A. 243-1 du Code des Assurances), fautes qui auraient concouru à l’aggravation des désordres objet de la déclaration de sinistre qui lui a été adressée par son assuré.

La justification repose sur une certaine analyse du lien de causalité. La Cour de cassation énonce ainsi qu’ « il incombait [à l’assureur de responsabilité décennale] de prendre toute mesure utile pour éviter l’aggravation ».

L’éviction de la responsabilité de l’assureur dommages ouvrage tient ainsi à cette raison que, s’il a, par son action ou plutôt son inexécution contractuelle, potentiellement conduit à la réalisation du dommage (en l’occurrence l’aggravation des désordres originaires), ce dommage ne ce serait pas produit si le constructeur du moins l’assureur de celui-ci avait rempli ses propres obligations en indemnisant la victime des dommages qu’elle subissait ou, à tout le moins, en finançant les travaux nécessaires à la non aggravation des désordres.

Cette justification est sans doute le plus souvent appropriée dès lors que l’assureur de responsabilité décennale doit, en application de l’Annexe II de l’article A. 243-1 du Code des Assurances, être consulté pour avis par l’expert amiable désigné par l’assureur dommages ouvrage chaque fois que ce dernier estime qu’il est nécessaire et « en tous cas, obligatoirement avant le dépôt entre les mains de l’assureur » du rapport préliminaire et du rapport définitif.

C’est donc très rapidement après la déclaration de sinistre, en tout état de cause dans les deux mois qui suivent, que l’assureur de responsabilité décennale sera susceptible de pallier les carences de l’assureur dommages ouvrage.

Il reste cependant qu’il n’est pas exclu que l’assureur de responsabilité décennale n’apprenne que tardivement l’existence du sinistre suite à une déclaration que lui ferait son assuré.

6. Au-delà de la justification qui figure dans l’attendu de principe précité, l’esprit de la solution repose sur l’articulation voulue par le rapport Spinetta et par le législateur de 1978 entre assurance de responsabilité décennale et assurance dommages ouvrage. L’assurance dommages ouvrage n’a qu’une finalité de préfinancement. C’est à l’assureur de responsabilité décennale d’assumer la charge définitive de la dette dès lors que, comme le rappelle expressément la Cour de cassation dans la première espèce rapportée, c’est sur celui-ci que pèse la « charge finale de la réparation des désordres relevant de l’article 1792 du Code Civil ».

Admettre que l’assureur de responsabilité décennale puisse récupérer du moins en partie, sur le fondement délictuel, ce qu’il a dû payer au titre de l’exécution du contrat conduit à dévoyer le principe / mécanisme du préfinancement. C’est pour consolider ce principe / mécanisme, que la Cour de cassation met en quelque sorte de côté la faute qu’a également et indubitablement commise l’assureur dommages ouvrage et ne retient que celle de l’assureur de responsabilité décennale, faute à l’origine de son propre préjudice.

7. Si nous approuvons la solution retenue tant en son principe qu’en sa justification, nous sommes en revanche assez circonspects sur l’affirmation retenue par les Juges du fond dans la première espèce et validée par la Cour Suprême, affirmation selon laquelle l’argumentation soutenue par les constructeurs fondée sur le préfinancement des travaux par l’assureur dommages ouvrage était inopérante pour les exonérer de la responsabilité qui leur incombe en application de l’article 1792 du Code Civil.

En effet, la question ne se situe pas à ce niveau dès lors que les constructeurs et/ou les assureurs de responsabilité ne revendiquaient pas l’existence d’une cause exonératoire de leur responsabilité même à titre partiel, mais seulement la prise en charge par un tiers, en la circonstance l’assureur dommages ouvrage, d’une partie de la dette dont l’accroissement aurait été le résultat de la faute dudit tiers et plus précisément de la part correspondant à l’accroissement de la dette liée au retard mis par l’assureur dommages ouvrage à préfinancer, comme il en avait l’obligation les travaux de réparation.

Sur le recours des constructeurs et/ou de l’assureur de responsabilité décennale à l’encontre du bénéficiaire de l’assurance dommages ouvrage.

8. Dans la première espèce, les constructeurs et leur assureur de responsabilité décennale reprochaient en outre à la Cour de Paris d’avoir privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code Civil pour s’être abstenue de rechercher comme elle y avait été invitée par les constructeurs et leur assureur de responsabilité décennale qui avaient formé des demandes à l’encontre des bénéficiaires de l’assurance dommages ouvrage, si lesdits bénéficiaires de l’assurance dommages ouvrage, en ne mettant pas en oeuvre la garantie de l’assureur n’avaient pas commis une faute qui avait contribué à aggraver les désordres et alourdir la dette définitive des réparations mises à leur charge.

La Cour Suprême rejette le moyen au considérant ci-après rapporté :

« Mais attendu qu’ayant retenu que le grief adressé au bénéficiaire de la police dommages ouvrage au motif de la non utilisation de l’assurance dommages ouvrage, n’avait pas pour effet d’exonérer les constructeurs de la responsabilité légale, la Cour d’appel a légalement justifié sa décision de ce chef. »

La solution retenue ne peut qu’être approuvée car la victime des dommages a un droit concurrent à l’encontre des constructeurs, de leur vendeur s’il y a lieu, de leurs assureurs de responsabilité décennale et enfin de l’assureur dommages ouvrage et il est loisible à ladite victime de mettre en oeuvre celle des responsabilités et/ou des garanties d’assurance qui lui paraîtraient le mieux approprié à son action.

On regrettera néanmoins ici aussi sur ce point que la validation de l’arrêt de la Cour de Paris ait été opérée par adoption implicite de l’argumentation selon laquelle l’absence de mise en oeuvre de l’assurance dommages ouvrage par les bénéficiaires de ladite assurance, n’avait pas pour effet d’exonérer les constructeurs de leur responsabilité légale alors que, ici encore, le débat ne se présentait pas exactement dans les termes ci-dessus évoqués tranchés, les constructeurs reprochant au bénéficiaire de l’assurance dommages ouvrage d’avoir retardé par leur inaction à l’égard de leur assureur de choses, la réparation des dommages.

RGDA 2006 – 2 – p. 457

Jean-Pierre Karila

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