Incidence du défaut d’assurance dommages ouvrage (Cass. 3e civ., 30 mars 1994) — Karila

Incidence du défaut d’assurance dommages ouvrage (Cass. 3e civ., 30 mars 1994)

Ancien ID : 217

Incidence du défaut d’assurance dommages ouvrage.

Le défaut de souscription de l’Assurance Obligatoire Dommages Ouvrage par le maître d’ouvrage n’est pas une cause exonératoire de la responsabilité de plein droit mise à la charge des locateurs d’ouvrage par l’article 1792 du Code Civil.

Cour de Cassation, (3è Ch. civ.) 30 mars 1994, 92-17683

Serta c/ Huet

La Cour,

Sur le moyen unique du pourvoi principal, le moyen unique du pourvoi incident de la société Prins, et le second moyen du pourvoi incident de la société S.A -M.S.S.O. de MM Huet,et Delafons et fils :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Lyon, 14 mai 1992), qu’à la suite de l’effondrement d’une serre préfabriquée par la société Prins et qu’il avait commandée à la société Serta, assurée par la Société mutuelle d’assurances de la Seine et de la Seine-et-Oise (S.A.M.S.S.O.), M. Méon a assigné ces sociétés et l’assureur en paiement du coût de la reconstruction et de dommages-intérêts pour préjudice immatériels ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt, d’une part, par la société Serta, la société Prins et la S.A.M.S.S.O. de condamner à réparation in solidum la Serta et son assureur au profit de M. Méon, et, d’autre part, par la société Prins et la S.A.M.S.S.O. de les condamner à garantie partielle à l’égard de la Serta, alors, selon le moyen, 1. que, dans ses conclusions du 16 janvier 1991, la société Serta faisait valoir que M. Méon, maître de l’ouvrage, n’avait pas souscrit l’assurance de dommages obligatoire prévue par l’article L 242-1 du Code des assurances, qui lui aurait permis d’obtenir la remise en état immédiate de l’ouvrage endommagé, nonobstant toute recherche de responsabilité, de sorte que sa carence est seule à l’origine du préjudice économique différé dont il sollicite réparation ; qu’ainsi, en mettant la réparation intégrale de ce préjudice à la charge de la société Serta, sans répondre au moyen déterminant par lequel celle-ci invoquait une faute exonératoire du maître de l’ouvrage, la Cour d’appel a privé sa décision de motifs et violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ; que la garantie de la société Prins doit être réduite en fonction du dommage subi ; 2. que la faute du maître de l’ouvrage exonère le constructeur de la responsabilité de plein droit qui pèse sur lui ; qu’en condamnant l’assurée de la S.A.M.S.S.O. à réparer les dommages immatériels subis par M. Méon, quand ce dernier était à l’origine desdits dommages pour n’avoir pas souscrit l’assurance de dommages obligatoires prévue par l’article L 242-1 du Code des assurances qui lui aurait permis d’obtenir la remise en état immédiate de l’ouvrage endommagé, la Cour d’appel a violé l’article 1792 du Code civil ».

Mais attendu que le défaut de souscription de l’assurance obligatoire dommages-ouvrage par le maître de l’ouvrage n’étant en lui-même ni une cause des désordres ni une cause exonératoire de la responsabilité de plain droit mise à la charge du locateur d’ouvrage par l’article 1792 du Code civil, et la Cour d’appel n’étant pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes, le moyen n’est pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident de la Société S.A.M.S.S.O. :

Mais attendu qu’ayant relevé, sans dénaturation, que la société Serta avait souscrit, outre la polie « Constructeur non Réalisateur » n’accordant que les garanties obligatoires, une autre police dite « Décennale Entrepreneur » à effet du 11 janvier 1975, couvrant, sans autre dérogation, les dommages de nature de ceux visés aux articles 1792 et 1792-2 du Code civil, résultant des travaux exécutés par l’assurée ou donnés en sous-traitance et les dommages immatériels jusqu’à 500.000 francs, la Cour d’appel en a exactement déduit que la S.A.M.S.S.O. devait ainsi sa garantie pour le sinistre survenu en 1982, dont la société Serta était responsable ainsi que pour la préjudice « immatériel » dans la limite de la somme susvisée ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Par ces motifs ;

Rejette

Note. 1. A la suite de l’effondrement d’une serre mise en œuvre par un entrepreneur à l’aide d’éléments préfabriqués par une société néerlandaise, le maître de l’ouvrage subit des dommages constitués par le coût d’une nouvelle serre, ledit coût étant supérieur à celui d’origine en raison de l’augmentation du florin d’une part, et par la perte totale des cultures qui s’y trouvaient d’autre part, et enfin les dommages immatériels ou encore un « préjudice économique » différé, constitué par les pertes d’exploitation, ensuite de l’immobilisation de la serre avant son remplacement, pertes d’exploitation déterminées par un expert par référence aux résultats d’exploitation d’une serre identique à celle sinistrée.

La Cour de Lyon avait retenu la responsabilité de l’entrepreneur sur le fondement de l’article 1792 du Code civil, in solidum avec son assureur, ainsi qu’avec le fabricant des éléments préfabriqués de la serre, lequel était par ailleurs condamné à garantir partiellement ledit entrepreneur.

2. Les différents pourvois ne critiquaient la décision de la Cour de Lyon que relativement à la seule condamnation du chef du préjudice économique différé.

3. L’unique moyen produit au pourvoi principal de l’entrepreneur, ainsi que le pourvoi incident du fabricant, et enfin le second moyen du pourvoi incident de l’assureur de l’entrepreneur reprochaient à l’arrêt attaqué de les avoir condamnés in solidum à réparer le préjudice économique différé, alors que selon lesdits moyens, ledit préjudice avait pour seule origine la faute du maître de l’ouvrage, exonératoire de la responsabilité de plein droit du constructeur, faute constituée par le fait que maître d’ouvrage s’était abstenu de souscrire l’assurance Dommages Ouvrage prévue par l’article L 242-1 du Code des assurances qui lui aurait permis d’obtenir la remise en état immédiate de l’ouvrage endommagé, nonobstant toute recherche de responsabilité.

La Cour suprême rejette le grief de défaut de motifs au regard de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile, après avoir rappelé que le défaut de souscription de l’Assurance Dommages Ouvrage obligatoire par le maître de l’ouvrage n’est, en lui-même, ni une cause de désordres, ni une cause exonératoire de la responsabilité de plein droit mise à la charge des locateurs d’ouvrage par l’article 1792 du Code civil.

Sans doute la décision est-elle exempte de critiques, mais on peut cependant s’interroger sur le point de savoir si la solution aurait été identique au cas où le constructeur et son assureur s’étaient avisés – devant le Juge du fond – de poser le problème non pas en termes de cause exonératoire de responsabilité, mais uniquement en termes de quantum de préjudice, non de faute du maître de l’ouvrage totalement ou partiellement exonératoire de la responsabilité de l’entrepreneur, mais de faute du maître de l’ouvrage ayant contribué à la création ou à l’aggravation de son propre préjudice.

La solution choque en tout cas sinon l’équité, du moins les principes de la réparation des préjudices, dès lors qu’est ainsi validée indirectement une carence manifeste du maître de l’ouvrage au regard d’une obligation légale, au surplus sanctionnée pénalement.

Les Juge du fond seront sans doute plus sensibles aux observations ci-dessus ; ils l’ont été à l’occasion dans des décisions généralement inédites ; on signalera sur ce point une décision inédite de la Cour de Versailles du 19 septembre 1989, rendue sous la présence à l’époque du rapporteur de l’arrêt, objet du présent commentaire. La Cour de Versailles, en la circonstance, énonçait « Considérant d’autre part que si les époux… invoquent la faculté du maître de l’ouvrage d’agir soit contre son assureur de dommages, soit directement contre les locateurs d’ouvrage, cette faculté n’exclut pas pour autant la possibilité des locateurs d’ouvrage de se prévaloir de l’inobservation fautive par le maître de l’ouvrage de son obligation légale de souscrire une Police Dommages Ouvrage, le privant d’u procédé de financement plus rapide des travaux, puisque non assujetti à la recherche préalable de responsabilité, et entraînant par voie de conséquence l’aggravation des préjudices par l’augmentation éventuelle du prix de construction et par la persistance des dommages ».

Jean-Pierre Karila – RGAT 1994-02, p. 580

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