La troisième chambre civile semble reconnaître un plein effet erga omnes de prescription à l’ordonnance commune (Cass. 3e civ., 28 mars 2012) — Karila

La troisième chambre civile semble reconnaître un plein effet erga omnes de prescription à l’ordonnance commune (Cass. 3e civ., 28 mars 2012)

Ancien ID : 949

La troisième chambre civile semble reconnaître un plein effet erga omnes de prescription à l’ordonnance commune

Cour de cassation, 3e civ., 28 mars 2012, n° 10-28093

Revue de droit immobilier 2012 p. 358

« Vu les articles L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 28 septembre 2010), que le syndicat des copropriétaires de l’ensemble immobilier Porte de Médicis (le syndicat), invoquant divers désordres affectant un immeuble réceptionné en 1993, a assigné aux fins d’expertise, le 13 mai 2002, la société Axa assurances (société AXA) en sa qualité d’assureur dommages ouvrage ; que cet assureur ayant assigné plusieurs intervenants à la construction aux fins d’expertise commune, les décisions faisant droit à ces demandes, rendues en janvier et avril 2003, ont été confirmées par arrêt du 2 juin 2004 ;

Attendu que, pour déclarer prescrite l’action du syndicat à l’encontre de la société Axa et rejeter ses demandes, l’arrêt retient qu’il ne peut se prévaloir des assignations en référé délivrées, la dernière en avril 2003, par l’assureur dommages ouvrage aux différents intervenants à la construction et à leurs assureurs et que l’assignation au fond a été délivrée le 6 juin 2005 plus de deux ans après l’assignation initiale du 13 mai 2002 sans qu’aucun événement n’ait interrompu la prescription ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la prescription de l’action engagée entre un assuré et un assureur est interrompue à l’égard des parties à une mesure d’expertise, même celles n’ayant été parties qu’à l’instance initiale ayant abouti à la désignation de l’expert, par toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à cette expertise, et que le syndicat soutenait que la modification de l’expertise initialement ordonnée en 2002 avait été demandée en 2003 par la société Axa et définitivement acceptée par un arrêt du 2 juin 2004 rendu moins de deux ans avant l’assignation au fond délivrée à cette société, la cour d’appel a violé les textes susvisés […] »

Observations de Me Laurent Karila :

La question posée à la Cour de cassation était la suivante : un syndicat des copropriétaires qui a, le 13 mai 2002, assigné en référé son assureur dommages ouvrage aux fins de désignation d’un expert judiciaire, est-il recevable, au regard des articles L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances relatifs à la prescription biennale et à certaines de ses causes d’interruption, à agir au fond – notamment à son encontre – plus de deux ans plus tard et précisément le 6 juin 2005, au motif que l’assureur dommages ouvrage avait été à l’initiative d’ordonnances communes au contradictoire de certains locateurs d’ouvrage et leurs assureurs en date des 20 janvier et 8 avril 2003, ordonnances confirmées par la cour d’appel le 2 juin 2004

Autrement formulé, la Cour devait statuer sur la question de savoir si les ordonnances de référé des 20 janvier et 8 avril 2003 et du 2 juin 2004 obtenues à la demande de l’assureur dommages ouvrage à l’encontre de certains locateurs d’ouvrage et de leurs assureurs étaient interruptives de prescription de l’action du syndicat des copropriétaires à l’encontre de son assureur dommages ouvrage, ce nonobstant le fait que ledit syndicat n’était pas partie aux dites ordonnances de référé.

La troisième chambre civile y répond par l’affirmative.

On rappellera qu’après s’être ralliée le 24 février 2009(1) à la position de la première chambre civile qui avait admis l’effet interruptif erga omnes de prescription le 27 janvier 2004(2), la troisième chambre avait fait marche arrière depuis à l’occasion d’arrêts des 18 novembre 2009(3), 3 mars 2010(4) et 2 mars 2011(5), le dernier arrêt cité semblant énoncer qu’un tel effet interruptif ne pouvait s’opérer que si la personne introduisant la nouvelle action en référé (en ordonnance commune) était la même que celle ayant introduit l’assignation initiale en référé aux fins de désignation de l’expert judiciaire.

La deuxième chambre civile prenait quant à elle une position de principe identique à celle de la première chambre, les 22 octobre et 10 novembre 2009(6) et le 12 mai 2011(7), selon la formule consacrée : « Toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mission d’expertise, ordonnée par une précédente décision, a un effet interruptif de prescription à l’égard de toutes les parties et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre ».

Quant au Conseil d’État, il énonçait le 7 octobre 2009(8) de manière stricte – et selon nous cohérente avec les termes de l’article 2244 ancien du code civil – que « l’ordonnance de référé déclarant commune à d’autres constructeurs une mesure d’expertise précédemment ordonnée, n’a pas d’effet interruptif de prescription à l’égard de ceux qui n’étaient parties qu’à l’ordonnance initiale ».

Doit-on comprendre de cet arrêt du 28 mars 2012 (non publié au bulletin) que la troisième chambre civile s’est à nouveau ralliée à la position des première et deuxième chambres civiles, en tenant – peut-être – compte des termes du nouvel article 2241 du code civil institué par la loi du 17 juin 2008 sur la prescription ? Le nouvel article relatif à l’effet interruptif de prescription de l’action en justice même introduite en référé, à savoir l’article 2241 du code civil, ne faisant plus mention, comme le faisait encore l’ancien article 2244 du code civil, de ce que la citation en justice devait être signifiée à « celui qu’on veut empêcher de prescrire », l’article 2241, alinéa premier, disposant seulement que « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion », sans référence à l’effet interruptif de prescription limité aux personnes à l’encontre de qui est exercée l’action judiciaire.

Il nous faudrait probablement encore attendre une confirmation à l’occasion d’un prochain arrêt publié.

Mots clés :

ASSURANCE * Assurance dommages-ouvrage * Prescription * Expertise * Ordonnance de référé * Effet erga omnes

(1) Civ. 3e, 24 févr. 2009, n° 08-12.746, D. 2010. 1740, obs. H. Groutel.

(2) Civ. 1re, 27 janv. 2004, n° 01-10.748.

(3) Civ. 3e, 18 nov. 2009, n° 08-13.642 et n° 08-13.673, RDI 2010. 111, obs. P. Malinvaud, Bull. n° civ. III, n° 250.

(4) Civ. 3e, 3 mars 2010, n° 09-11.070.

(5) Civ. 3e, 2 mars 2011, n° 10-30.295.

(6) Civ. 2e, 22 oct. 2009, n° 08-19.840, D. 2009. 2685 ; ibid. 2010. 1740, obs. H. Groutel ; RDI 2009. 656, obs. G. Leguay, Bull. n° civ. II, n° 252 ; Civ. 2e, 10 nov. 2009, n° 08-19.371, D. 2010. 1740, obs. H. Groutel.

(7) Civ. 2e, 12 mai 2011, n° 10-11.832, D. 2011. 1483 ; ibid. 2150, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et O.-L. Bouvier.

(8) Haut du formulaire, CE, 7 oct. 2009, n° 308163, Atelier des maîtres d’oeuvre ATMO (Sté), Compagnie des soucripteurs du Lloyd’s de Londres, Lebon ; AJDA 2009. 1866 ; RDI 2010. 113, obs. B. Delaunay.

Me Laurent Karila – Revue de droit immobilier 2012 p. 358


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